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chercher secours auprès de Philippe. Ainsi il engage la conversation ; il tâte les points douloureux : il fait de l’auscultation morale. Le diagnostic est des plus nets. Philippe est de ceux qui ne peuvent vivre sans foyer. La présence d’une femme guérira seule la blessure qu’a faite la mort d’une femme. Justement une femme vient à passer, Laurence. Elle est charmante, et Richard le sait mieux que personne, car il a eu jadis pour elle un sentiment qui ressemblait bien à de l’amour. Ajoutez que Didiaix tourne autour d’elle. La conclusion s’impose : il faut que Philippe épouse Laurence. C’est l’ordonnance. Une scène joliment filée met en présence ceux que la Faculté a décidé d’unir. Pour une première entrevue, c’est mieux qu’on ne pouvait espérer. Le mariage se fera...

Il est fait, quand la toile se relève sur le second acte, et bien fait. Philippe est très amoureux de sa femme. Il s’est si bien repris au monde et à ses vanités, qu’il est de nouveau candidat à la députation. La maison est gaie. On reçoit, on chante, on improvise des couplets de circonstance. Méfiez-vous des chansonniers amateurs et des revuistes de salon : ils n’ont pas toujours de l’esprit, mais ils manquent souvent de tact. Un poète homme du monde, c’est-à-dire qui n’est ni homme du monde, ni poète, a jugé bon de faire une allusion indiscrète aux rapports de Laurence et de Didiaix, Richard, qui se trouve là, relève le mot malencontreux, cherche querelle à Didiaix. Quels ont été dans tout cela les torts de Didiaix ? Nous ne le débrouillons pas très bien. Mais il nous suffit de savoir qu’il y a eu injure à l’adresse de Mme Philippe d’Estal, et que Philippe avait donc seul qualité pour s’en montrer offensé. Richard n’avait pas à intervenir : il a manqué aux convenances, gravement. Ç’a été mouvement spontané, démarche irréfléchie. Il s’est trahi. Il a laissé voir combien Laurence lui est chère. Il a révélé à tous, et à nous-mêmes, qui n’y songions guère, que l’amour d’antan n’est pas mort en lui...

La critique a été généralement d’avis qu’en agissant ainsi, le personnage démentait sa conduite précédente, manquait à son caractère, cessait d’être l’homme de la volonté ; et lui aussi le voilà neurasthénique ! Je crois qu’elle s’est trompée. Les caractères autoritaires ont toutes les qualités, sauf une, qui est la discrétion dans l’exercice de leur autorité. Habitués à vouloir, ils veulent pour eux-mêmes et aussi pour les autres. Ils n’y cherchent pas malice : c’est chez eux l’effet d’un trop-plein d’énergie qui a besoin de se dépenser, c’est le réflexe ou la détente d’une faculté excessive et toujours sous pression. Ajoutez que, soignant des neurasthéniques, Richard a pour habitude