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en sauvage au fond d’un château de province : la société de ses semblables, l’activité, tout ce qui l’intéressait hier et le passionnait, maintenant lui fait horreur.

Qu’un homme brisé par une affreuse douleur prenne la vie en dégoût, c’est preuve qu’il est malheureux, non qu’il est malade. M. Gustave Guiches a prévu l’objection et y a très ingénieusement répondu. Nous voyons en effet que Philippe, dans son parc, fermé à tout le genre humain, accueille une catégorie de visiteurs et une seule : les malades en traitement dans la clinique voisine du docteur Didiaix. Philippe s’entoure de neurasthéniques : preuve qu’il est lui-même neurasthénique. Et c’est pour l’auteur le moyen de nous présenter un certain nombre de silhouettes amusantes, caricatures ou portraits. Oisifs, mondains, privilégiés du luxe, surmenés du plaisir, tel est le troupeau dont ce Didiaix est le pasteur. Celui-ci est l’homme habile qui a diagnostiqué la manie de ses contemporains et qui en tire parti. Il sait l’art d’élever les neurasthéniques et de s’en faire des rentes. En lui donnant un peu d’esprit et beaucoup de scepticisme, l’auteur aurait pu en faire un type curieux de médecin philosophe et mondain, une figure très moderne de neurologiste bien parisien. Tel n’était pas son plan. Son docteur Didiaix n’est qu’un vulgaire intrigant : il ne joue dans la pièce qu’un rôle de traître, moins encore : d’utilité. C’est dommage.

Que les neurologistes ne s’empressent pas de partir en guerre contre M. Guiches. Le docteur Richard Lemas venge la corporation. Il est, celui-là, l’honneur de la Faculté. C’est un de ces médecins psychologues qui mettent au service de la science médicale l’observation déliée du moraliste. Il fait songer au docteur Pierre Janet, que l’Institut vient de s’adjoindre, ou au docteur Grasset, que l’Académie française vient de couronner. Aux anémiques du caractère, aux paralytiques de la volonté, il apporte mieux qu’un remède : son exemple. Il a une devise : « Vouloir, » et il y conforme sa conduite. C’est l’énergie faite homme, la morale de la volonté en action. Or il est le beau-frère de Philippe d’Estal, et il est le bon beau-frère : il opère en famille. Médecin, il a flairé en Philippe un sujet, et beau-frère, il jure de lui rendre la santé. Assistons à cette cure qui est de la psychologie appliquée et partant de la littérature.

La première difficulté est de gagner la confiance du client. C’en est une, et non la moindre, avec des malades atteints précisément de manie ombrageuse et qui soupçonnent en tout visiteur un ennemi. Très adroitement, Richard feint d’être le plus malade des deux et de