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L’alliance balkanique a été une surprise, voulue par quelques hommes supérieurs. Contre elle s’insurgent non seulement des intérêts, mais des habitudes séculaires, tout cet automatisme de haines historiques qui fait faire aux peuples des gestes hostiles et les trompe sur leur avantage réel. La volonté réfléchie des hommes sages qui conduisent la Bulgarie, la Grèce, la Serbie, le Monténégro peut orienter dans une voie nouvelle, celle-là même qui vient de les conduire à la victoire, leurs peuples rajeunis par la guerre et le succès. A certaines heures, il ne suffit plus de répéter les actes héréditaires, de redire les mots traditionnels, il faut faire le geste historique, celui qui fonde l’avenir. Les Etats balkaniques ne peuvent plus redevenir, après cette guerre, ce qu’ils étaient avant ; leur mentalité doit s’élargir avec leurs frontières. L’alliance a été féconde, la fondation de la confédération le sera encore plus. Entre ces peuples, dont les génies divers se complètent à merveille les uns les autres, l’accord, la fédération, qui n’est pas destructive de l’individualité, est nécessaire ; la pente naturelle de l’histoire les y porte. Pour le moment, il suffit d’éviter tout ce qui blesserait, tout ce qui pourrait créer de l’irréparable, et il appartient aux amis de s’entremettre pour trancher les litiges trop aigus, apaiser les passions soulevées. Bientôt il faudra qu’une volonté supérieure dise les mots et décide les actes généreux qui précipiteront l’histoire dans ses voies nouvelles. Une parole d’union, tombée de haut, produirait en ce moment un immense soulagement, une bienfaisante détente. La voix des morts, dans ces contrées balkaniques arrosées de tant de sang, souffle la haine et la discorde avec le souvenir de tant de luttes intestines ; mais, si une nouvelle guerre fratricide s’allumait, on entendrait s’élever, du fond des tombes encore fraîches, une clameur formidable, celle des héros tombés côte à côte pour la même cause, depuis les flancs du Tarabosch jusqu’aux lignes de Tchataldja, dans la grande croisade victorieuse. Leur voix impérieuse exige la concorde et l’alliance ; malgré la violence des passions nationales, la voix vivante qui traduirait leurs volontés posthumes serait écoutée et imposerait sa loi à l’avenir.


RENE PINON.