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V

Associés pour détruire, la Bulgarie, la Serbie, le Monténégro et la Grèce ne pourront-ils s’entendre pour fonder ? Sont-ils condamnés à se battre pour partager le vaste domaine qu’ils ont su glorieusement conquérir ? On pourrait le croire, tant les passions nationales, surchauffées par l’ivresse du succès, paraissent intransigeantes. Les intérêts, nous l’avons montré, sont contradictoires, les aspirations incompatibles. Déjà, aux avant-postes, les fusils partent tout seuls ; des échauffourées mettent aux prises Grecs et Bulgares. Au tribunal des grandes Puissances, les agens des trois principaux concurrens plaident, à coups de statistiques, d’ethnographie, de précédons historiques, la cause de leurs pays respectifs. Les armées se concentrent pour appuyer les argumens des diplomates. Les sympathies européennes commencent à se détourner de ces vainqueurs qui se montrent moins capables de porter leur brillante fortune que de l’édifier. Faudra-t-il croire qu’il ne puisse rien naître de grand que par le fer et dans le sang ? Les passions aveugles des peuples entraîneront peut-être les gouvernemens à d’irréparables erreurs, mais nous ne pouvons imaginer, pour notre part, que les têtes froides qui ont conçu et réalisé l’alliance balkanique, assistent à la ruine de leur œuvre, sans essayer une résistance qui, si elle est conduite avec un large esprit d’équité et une claire vision des possibilités de l’avenir, doit rester victorieuse.

Toute politique est fondée sur des intérêts, mais il y a une hiérarchie des intérêts. Il arrive, aux peuples jeunes surtout et aux victorieux, de ne plus apercevoir, dans le tumulte des événemens qui se précipitent, que leurs passions immédiates et leurs intérêts présens ; il faut, pour faire une politique d’avenir, génératrice de grands résultats, porter ses regards plus haut et plus loin ; le temps de la récolte, qui est arrivé pour les États balkaniques, doit être aussi celui des semailles. L’heure unique est venue où ils vont décider de leur avenir et orienter leurs destinées pour des siècles ; un examen de conscience national les aidera, dans ces circonstances solennelles, à voir clair dans leurs intérêts essentiels ; ils leur apparaîtront moins contradictoires qu’ils ne semblent l’être au premier abord.

Quand on regarde une carte des races et des langues de