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voient déjà le repaire futur de la flotte hellénique fermant les issues de l’Adriatique ; ils menacent de tirer le canon si les deux rives de ce large bassin devenaient grecques. Leurs craintes ne seraient-elles pas apaisées par une garantie de neutralisation de Corfou que la Grèce ne refuserait pas d’accorder ? Il est presque aussi étrange de voir l’Italie s’opposer à ce qu’un peuple voisin achève son unité nationale, qu’il est piquant de voir l’Autriche invoquer le droit des peuples. On ne fait pas de la politique avec des principes ! Ce serait bien le cas, cependant, de les appliquer, puisqu’on est théoriquement unanime à les admettre ; une commission européenne pourrait étudier sur place quels villages sont albanais et quels hellènes et procéder à une répartition impartiale.

La frontière du nouvel État albanais, proposée par le Cabinet de Vienne et acceptée par les Puissances, laisse une partie des rives du lac de Scutari au Monténégro avec la haute vallée de la Plava (district de Gusinié, déjà cédé au Monténégro par le traité de Berlin), puis descend vers le Sud et passe tout près de Diakova qui reste slave, coupe le Drin blanc, passe tout près de Prizrend, qu’elle laisse aux Serbes, enveloppe le sauvage district albanais de la Liuma et revient couper le Drin noir au Nord de Dibra, qui reste aux alliés ; elle atteint ensuite le lac d’Okrida. Dans l’ensemble, cette frontière est raisonnable, mais quand on en étudie le détail, on s’aperçoit que son tracé est paradoxal et qu’au lieu de chercher à prévenir les conflits et les incidens de frontière, elle semble se proposer de les préparer et de les faire naitre. Nous ne pouvons entrer ici dans une description minutieuse du terrain. Prenons un seul exemple : au lieu de suivre les crêtes du Bituch, la frontière proposée passerait à mi-côte, à une portée de fusil de Diakova ; toutes les crêtes appartiendraient aux Albanais, et quand on connaît leur tempérament et leurs mœurs, on peut se demander si les gens de Diakova pourront dormir tranquilles et se livrer aux travaux de la paix. De ce côté-là aussi, il est nécessaire, si l’Europe veut faire œuvre solide et bienfaisante, qu’une commission internationale révise surplace, dans l’intérêt des populations riveraines, le tracé définitif des frontières dont la diplomatie, préoccupée de concilier des points de vue opposés, n’a pu tracer que les grandes lignes. Dans ces délimitations délicates, les Puissances doivent voir les choses de près et travailler de bonne foi à organiser la paix