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ses limites partiraient du point le plus septentrional de la frontière hellène actuelle, et engloberaient le lac de Presba, Monastir, Uskub, Mitrovitza, pour rejoindre de là le Monténégro : prétentions inadmissibles, mais curieuses à enregistrer car elles constitueront peut-être plus tard le programme intégral de l’Albania irredenta. Il est permis d’espérer cependant que le jour où une bonne police et une administration régulière auront établi l’ordre dans la Macédoine et l’Albanie, les Arnaoutes trouveront du travail chez eux et seront moins attirés chez leurs voisins.

C’est le malheur du vaillant petit peuple monténégrin que sa frontière Sud-Est est bordée presque immédiatement par des tribus albanaises qui, pour la plupart, poursuivent, avec les clans de la Tchernagora, des vendettas séculaires. Skodra, que l’on appelle Scutari d’Albanie, est vraiment une ville albanaise, le centre des Albanais du Nord, de ces tribus catholiques qui sont sous le protectorat religieux de l’Autriche ainsi que le reconnaissent les mêmes traités qui confirment le protectorat français sur les catholiques dans le reste de l’Empire ottoman. Les clans albanais, à l’exception d’une partie des Malissores, n’auraient pas accepté sans résistance la domination monténégrine. L’Autriche était fondée à demander que Scutari fût rendue à l’Albanie et l’Europe ne pouvait lui refuser une satisfaction qu’elle revendiquait au nom du droit des peuples. Quelque sympathie qu’inspirât l’héroïque effort des soldats monténégrins, dès lors que l’on avait décidé de créer une Albanie, il fallait que Scutari y fût englobée. Il conviendra de chercher quelles compensations les Monténégrins pourraient recevoir pour le sacrifice que l’Europe leur a demandé.

Du côté du Sud, on discute encore sur les frontières qui devront séparer l’Albanie de l’Épire devenue hellène. Dans cette région, les Albanais sont en majorité orthodoxes et plus ou moins hellénisés, à tel point qu’il est souvent difficile de les distinguer des Hellènes ; parmi les héros de l’indépendance hellénique, beaucoup étaient Albanais. Jusqu’au Nord d’Argyrocastro la proportion des Hellènes est très forte, surtout dans les villes et les bourgs, et l’Europe ne ferait pas difficulté de tracer largement à la Grèce les frontières de l’Epire si l’Italie n’intervenait. Entre l’ile grecque de Corfou et le rivage épirote s’ouvre une magnifique rade naturelle longue de 70 kilomètres et presque fermée à chaque extrémité. Les Italiens y