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forts. Le principe, facile à poser, est donc difficile à appliquer, surtout dans cette Macédoine où les races sont si mêlées et où les propagandes rivales ont si terriblement enchevêtré les caries ethnographiques. Même une commission composée de représentans étrangers et impartiaux ne réussirait pas toujours a débrouiller la vérité ; il arrive que les habitans eux-mêmes hésitent sur leur nationalité ; certains villages en ont changé plusieurs fois, par peur ou par séduction, en quelques années. Tous souhaitent d’abord la paix, un bon gouvernement, la prospérité économique, des réformes agraires, des routes. Ils synthétisaient toutes ces aspirations en une seule : plus de Turcs. Encore ne faut-il pas oublier qu’en Macédoine, et surtout en Thrace, les paysans turcs sont nombreux ; ils ont droit à de sérieuses garanties, notamment pour leur liberté religieuse. Une subdivision à l’infini, village par village, rendrait toute vie collective impossible ; aucun État ne pourrait subsister ; les villes mêmes devraient être subdivisées maison par maison, car il n’en est peut-être pas une qui ne soit habitée que par une seule race. Il est bien difficile, par exemple, d’attribuer, dans une même région, les villes et les ports aux Grecs qui y forment souvent la majorité, et les campagnes aux Bulgares. Il faut voir large, et ne pas se perdre dans les détails. L’essentiel est qu’on cherche, chaque fois qu’il n’y aura pas d’inconvénient majeur, chaque fois qu’on ne risquera pas de léser quelque autre droit aussi intéressant, aussi légitime, à décider dans le sens de la volonté des peuples. Cela suffira pour qu’un grand progrès soit fait dans la voie de la justice internationale.

Essayons maintenant d’entrer dans quelques-unes des plus graves difficultés d’application et de les prendre corps à corps.


IV

Au banquet des vainqueurs s’assied un convive qu’on n’avait pas invité et que, ne l’ayant pas vu à la peine, on ne s’attendait pas à voir au profit : l’Albanais. C’est en vertu du principe « les Balkans aux peuples balkaniques » que l’Autriche a réclamé et que l’Europe a reconnu le droit de l’Albanie à l’existence. A la vérité, le Cabinet de Vienne avait sans doute d’autres