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III

Sur quelles bases est-il donc possible de procéder, entre la Bulgarie, la Serbie, le Monténégro, l’Albanie et la Grèce, à une répartition équitable des territoires cédés par la Turquie ?

Plusieurs élémens, d’importance inégale, doivent entrer en ligne de compte. Un seul, parmi les argumens que l’on entend invoquer, nous paraît dénué de valeur : c’est l’étendue du territoire occupé. Tous les pays conquis par les troupes des alliés faisaient partie de l’Empire ottoman. Pour les faire changer de maître, il fallait donc vaincre, réduire à l’impuissance l’armée ottomane ; il est évident que si Abdullah pacha avait remporté la victoire sur les Bulgares en Thrace, pas un pouce du territoire ottoman n’aurait été annexé par l’un ou l’autre des alliés. Le conquérant, c’est celui qui bat et détruit la principale armée ennemie. Qu’ont pesé les armées débarquées en Hollande et à Naples après que Napoléon eut écrasé la coalition à Austerlitz ? Les Autrichiens, en 1866, ont été victorieux à Custozza, mais leur armée principale ayant été vaincue par les Prussiens, ils ont dû céder la Vénétie à l’Italie. De plusieurs alliés, c’est celui ou ceux qui battent définitivement le gros de l’armée ennemie et réduisent l’Etat adverse à demander la paix, qui font bénéficier tous leurs associés de leurs succès décisifs. Tous les théoriciens de l’art militaire enseignent que le premier principe, à la guerre, qu’il s’agisse d’une armée ou de plusieurs armées alliées, est de chercher d’abord et de détruire le principal rassemblement des forces ennemies. C’est ce qu’ont fait les Bulgares ; personne ne saurait leur en contester le mérite. Si, à Lule-Bourgas, les Bulgares avaient été écrasés, la partie était perdue pour les alliés. Si nous rappelons cette vérité, ce n’est nullement pour soutenir que les Bulgares ont seuls des droits sur les pays cédés par les Turcs, mais pour répondre à quelques journaux, grecs ou serbes, qui prétendent que chacun doit garder ce qu’il occupe. On a même annoncé que, sur cette base, un accord aurait été conclu entre les Grecs et les Serbes. Nous n’en voulons rien croire, un tel pacte étant manifestement contraire aux égards que l’on se doit entre alliés et surtout à la stricte justice. Il ne suffit pas d’occuper de vastes territoires pour être en droit de les garder comme bien et définitivement