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les méfaits des bandes grecques, et c’était la tactique inverse dans les régions en majorité grecques ou serbes. Aux Grecs, la Porte opposait la propagande des Roumains. De représailles en représailles, d’insurrections en répressions, meurtres, viols, incendies, pillages désolaient la contrée[1]. Ces horreurs sont d’hier ; tous les habitans les ont vues, beaucoup en ont été victimes ; il est naturel qu’ils en aient gardé des ressentimens vivaces et qu’ils craignent de tomber, par suite d’un partage ou par la décision d’un arbitre, sous une domination détestée. Est-ce une raison pour leur infliger le désolant spectacle d’une guerre nouvelle entre les alliés d’hier ?

Il s’en faut que des inimitiés aussi anciennes, aussi tenaces, séparent les Bulgares et les Serbes. L’alliance entre deux pays slaves qui ont des affinités de sang, de langue, de culture, était prévue, préparée depuis longtemps, voulue par les hommes les plus éclairés des deux pays ; elle est l’aboutissement naturel d’une évolution historique. Entre Serbes et Bulgares c’est une rivalité de fraîche date pour la Macédoine qui a créé des dissentimens ; les Serbes ont fondé des écoles, fait de la propagande, armé même des bandes pour s’attacher une clientèle en Macédoine et se créer des droits en vue du jour où l’Empire ottoman s’écroulerait. Ils travaillaient surtout la région du Nord, mais ils étendaient de plus en plus loin leur propagande ; ils avaient une école jusqu’à Doïran, sur le lac de ce nom, au Nord-Est de Salonique. Leur activité irritait les Bulgares comme une provocation. Mais ce sont là blessures légères, différends de surface, qui n’altèrent pas les affinités profondes des deux peuples. Que ces rivalités soient vives, en ce moment, où il s’agit de fixer pour longtemps les frontières des deux pays, rien de plus naturel ; le partage achevé, on est en droit d’espérer que la bonne harmonie, et même quelque chose de plus, se rétablira. Il faut toutefois, pour cela, que le partage soit équitable, qu’il laisse, c’est inévitable, des regrets, mais pas de plaies incurables. C’est le problème qui se pose devant les alliés, et auquel l’Europe est intéressée. Selon qu’il sera bien ou mal résolu, les destins de la péninsule seront différens : elle s’acheminera vers un avenir de discordes et de faiblesse, ou vers un avenir d’association, de force et de progrès.

  1. Voyez sur ces événemens notre ouvrage : L’Europe et l’Empire ottoman (Perrin in-8o), ou, ici même, nos articles des 15 mai, 1er juin, 15 juillet 1907.