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rôle. En tout cas, elle possède en Asie des élémens de prospérité et de force qu’il suffirait d’avoir la volonté de mettre en œuvre. Ce n’est pas aujourd’hui notre objet de nous demander quel pourra être l’avenir de l’Empire ottoman ; la France espère qu’il vivra, qu’il saura se réorganiser ; elle est disposée à lui prêter son concours pour lui en faciliter les moyens. Nous voulions seulement constater, avant d’étudier quelles vont être les destinées des membres amputés de la Turquie d’Europe, le caractère complet et définitif de la ruine de la domination ottomane dans la péninsule des Balkans. Il n’y a pas d’autre exemple, dans l’histoire des temps modernes, d’une pareille liquidation. A la Turquie d’Europe, conquise aux XIVe et XVe siècles par la force des armes, la force des armes ne laisse aujourd’hui qu’un mince domaine de 200 kilomètres environ de largeur, simple bourrelet destiné à protéger les Détroits et Constantinople dont le Sultan demeure le gardien. Des confins de l’ancien sandjak de Novi-Bazar jusqu’à la frontière de la Thessalie et jusqu’au delà de la Crète, de l’Adriatique aux bouches de la Maritza et à la Mer-Noire, ainsi se mesurent les pertes de l’Empire ottoman et le magnifique domaine que les alliés vont se partager. A l’Est, l’Albanie, qui va constituer un Etat autonome, reste sous la souveraineté nominale du Sultan : l’avantage apparent et précaire, curiosité archéologique plutôt que réalité politique. Tout le reste échappe complètement aux Turcs et forme le lot des vainqueurs.

Tout ce pays (peuplé de plus de 4 millions d’habitans, sans l’Albanie) c’est la Macédoine, avec ses annexes, et la Thrace ; la dernière guerre et la paix de Londres apparaissent ainsi comme la liquidation de la question de Macédoine par disparition de la domination turque et partage entre les voisins. On aurait pu concevoir, — avant leurs succès foudroyans, les Bulgares n’excluaient pas cette hypothèse, — une Macédoine et une Albanie autonomes, ou une Macédo-Albanie. C’était le sens de la proposition Berchtold, du 4 août 1912 ; si elle avait été mieux comprise, elle aurait pu aboutir sans guerre à une autonomie de la Macédoine ; mais elle avait l’inconvénient d’introduire et d’installer l’Autriche dans la politique balkanique. La proposition Poincaré : l’Europe « prendra en mains » les réformes, aboutissait aussi à une Macédoine autonome sous la tutelle de toutes les Puissances, mais c’eût été sans doute une source de complications.