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de proposer aux grandes Puissances et qu’elles ont accepté avec une abnégation qui, pour quelques-unes, était méritoire, est la transcription négative d’une même vérité dont « les Balkans aux peuples balkaniques » est l’expression positive ; c’est la double notation de l’évolution qui s’opère dans la politique et dans le droit européen. L’histoire mesurera un jour la distance morale qui sépare le Congrès de Berlin des négociations de 1913.

On peut regretter qu’un congrès n’apporte pas une sanction solennelle aux principes qui sont, dans les difficultés actuelles, le fondement de l’accord européen ; ils seraient ainsi entrés par la grande porte dans le droit public. C’est déjà beaucoup qu’ils s’y introduisent sous la forme détournée d’un précédent. Un congrès eût offert trop d’occasions à des retours offensifs de la vieille politique qui paraissait fonder la justice sur l’égalité dans la spoliation. Des ambitions qui avaient paru autrefois naturelles et légitimes, qui même avaient pu être bienfaisantes, et qui survivent surtout aujourd’hui à l’état de traditions dans les bureaux des chancelleries, auraient pu trouver ou faire naître un prétexte à quelque intervention profitable. Le Congrès de Berlin offrait de dangereux exemples ; il eût été déplorable que les intérêts des petits Etats fussent encore sacrifiés aux convoitises des plus grands. Les alliés balkaniques, il est vrai, étaient de taille à ne pas se laisser brimer ; leur force a été un puissant argument au service de leur bon droit. Que les grandes Puissances n’aient pas cru devoir terminer la grande liquidation de la Turquie d’Europe par un congrès, c’est, à bien voir les choses, le signe qu’elles sont résolues ou résignées à ne s’immiscer dans les affaires balkaniques que dans la mesure où leurs intérêts ont besoin d’être sauvegardés, mesure encore large, mais légitime et naturelle. L’Europe n’a pas assez apprécié le service que le gouvernement autrichien a rendu à la paix générale et à l’indépendance des peuples balkaniques en résistant à la tentation de faire revivre, dès le lendemain de la déclaration de guerre, ses anciens droits sur le sandjak de Novi-Bazar et de le faire occuper par ses troupes. Le comte Stürgkh, ministre-président en Autriche, a dit le 20 mai au Reichsrat : « L’attitude prise par la monarchie dans la crise balkanique a été déterminée par la ligne directrice que notre politique étrangère s’est tracée depuis longtemps en prenant