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Laroche-Guyon, 21 août 1905.

Mon cher ami,

Je voudrais bien ne pas trop vous ennuyer de ma prose, mais comme je vous ai écrit le 28 juillet, et que, depuis, je n’ai eu de vous aucune nouvelle, je commence à m’inquiéter un peu. Si cela vous est désagréable, tant pis pour vous. Pourquoi m’avez-vous rendu si exigeant ? Je vais tâcher d’ailleurs de ne vous écrire que quatre lignes, et je ne vous demande que quatre mots.

Ce qui vous intéresse surtout, sans doute, c’est de savoir si le vieux petit bonhomme vit encore, ou si sa chétive personne ne s’en est point allée de vie à trépas. Voici ce que je vous en peux dire. Pendant les premières semaines qui ont suivi mon arrivée, ma santé n’a été ni meilleure ni plus mauvaise qu’à Paris. Point d’appétit, point de sommeil, ou bien d’épouvantables cauchemars alternant avec d’insupportables insomnies. Avec cela, une faiblesse extrême qui ne me permettait ni de travailler, ni de faire la plus courte promenade. Depuis huit jours environ, je me trouve beaucoup mieux. Je mange sérieusement une fois par jour, et grâce à l’abstinence du soir, les nuits sont bonnes, comme dit ce gâteux dans je ne sais quelle pièce de Labiche. Mais les vieilles jambes, quoiqu’elles soient un peu moins rétives, ne se prêtent pas à de bien longues gymnastiques ; et depuis un mois, je n’ai pas fait une course de plus d’une demi-heure.

Je suis d’ailleurs essoufflé au bout de dix minutes et obligé à cheminer par étapes tout autour du village. Ce qui m’humilie et m’inquiète le plus, c’est que, presque tous les matins, je suis pris de vertiges très pénibles.

C’est une infirmité absolument nouvelle pour moi, et le symptôme le plus alarmant de ma précoce décrépitude.

La tête ne vaut pas mieux que la bête. J’avais bêtement espéré que dans ce pays tranquille et dans cette maison muette, le travail pourrait alléger ma douleur et distraire mon ennui.

De mes pensées, de mes souffrances, de mon état d’âme, comme dit mon confrère Bourget, je ne veux rien dire. Vous êtes trop enclin aux idées noires pour que je vous attriste de mes tristesses. Presque chaque jour, je vais porter des fleurs de notre jardin sur cette pierre où sont mesurées d’avance les trois lignes qui porteront bientôt l’unique témoignage de mon