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son carton, l’insecte dans sa boîte ; et je me suis remis à tourner mes pouces, en me laissant apaiser par ces réflexions salutaires que, bon ou mauvais, ce que j’avais fait le projet d’écrire ne servirait à rien ni à personne, pas même à moi ; que ce que je pourrais écrire serait certainement bien plus mauvais et beaucoup plus inutile ; que, fût-on ce que je n’ai jamais été, il venait un âge où il fallait s’arrêter et se taire ; que les vieux écrivains ne doivent pas attendre les sifflets et que les vieux comédiens ne doivent pas attendre les pommes cuites. A ces causes, comme disaient nosseigneurs les évêques, et après avoir relu le mandement de l’archevêque de Grenade, j’ai tourné mes pouces de l’autre côté ; et depuis deux ou trois jours je me suis réduit à cet exercice inoffensif qui n’a fait que substituer un ennui profond à la rage orgueilleuse et stupide dont j’étais d’abord possédé.

Ne pouvant plus rien faire, je passe ma colère et mon ennui sur les gens qui font quelque chose, et comme vous le pensez bien, je n’y mets ni justice, ni bienveillance. Je lis beaucoup ; au hasard, au petit bonheur, sans goût, sans but, sans suite et sans méthode, pour user mes nerfs et pour tuer le temps.

Hier, j’ai fini par rire à moi tout seul, je venais de lire tout d’un trait, à la queue leu leu, Les Enfans d’Edouard et La Belle Hélène ! Tous les deux m’ont paru également stupides, et il m’a été agréable de les trouver tels.

Voilà où j’en suis après huit jours de solitude que nul bruit importun n’est venu troubler.

Il y a bien encore la Russie, le Japon, le Maroc, l’entrevue des deux empereurs, les concours du Conservatoire, et la décoration de Mlle Bartet ! ! Mais qu’est-ce que tout cela peut bien me faire ?

Ce que je voudrais bien savoir, c’est ce qui se passe sur la plage de Dinard et de Saint-Énogat, ce que vous dites, ce que vous faites, si vous avez rencontré des amis et si vous avez esquivé des fâcheux ; si vous avez enfin trouvé dans votre vaste crâne la solution des grands problèmes sur lesquels nous ratiocinons quelquefois avec une si amusante naïveté.

Je crains bien que, cette année, Brunetière ne nous puisse apporter sur ces graves questions quelques clartés. Mon pauvre grand confrère m’a semblé, dans ces derniers temps, bien malade, et cela m’a fort attristé ; car bien qu’il n’y ait entre nous,