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J’espère que Mme Carraby est tout à fait guérie de son entorse, et qu’après les gentianes et les edelweiss du Mont Caux et des neiges de Naye, elle peut fouler maintenant de son petit pied allègre les bruyères des gorges d’Apremont et des solitudes de Franchard.

Quant à vous, vous ne me dites rien de votre santé ni de votre humeur. Je pense donc que vous vous portez bien, et que vous ne broyez pas trop de noir. En vérité, vous seriez ingrat si vous ne trouviez pas bien large la part de bonheur que vous a faite ici-bas cette mystérieuse Providence vers laquelle nous élèvent si souvent nos sévères entretiens. Que Dieu vous garde bien longtemps encore tout ce qui vous est cher ! Savez-vous à quoi je pense en écrivant ces mots ; et croyez-vous que dans les rêveries de ma présomptueuse amitié, me voilà songeant au chagrin que vous aurez peut-être lorsque dans quelques mois, dans quelques semaines ou dans quelques jours, je m’en irai rejoindre ce grand frère bien-aimé qui était si digne, lui, d’une amitié comme la vôtre ?

Ma santé n’est ni beaucoup meilleure ni beaucoup plus mauvaise qu’elle ne l’était il y a un mois. Je crois que je mange un peu plus et que mon estomac est un peu moins fantasque. Mais je ne dors guère mieux, et mes nuits sont trop souvent partagées entre des insomnies cruelles et d’épouvantables et stupides cauchemars.

Je ne peux faire aucune course, à peine de courtes promenades. Partout où je vais, d’ailleurs, partout du moins où je pourrais aller, je me heurterais à des souvenirs trop présens, et que ma lâcheté n’ose pas affronter... Saprelotte, je voudrais bien pourtant vous parler d’autre chose que de moi et de ma triste personne.

Allons ! Faites-moi taire. Aussi bien, je ne sais plus du tout ce que j’écris. C’est aujourd’hui la fête de Laroche-Guyon, et depuis ce matin, c’est un tapage assourdissant. Voici trois sociétés chorales et trois orchestres de cuivre qui passent dans ma rue (rue des Frères Rousse, s’il vous plaît), et qui font rage de trombones, de grosse caisse et de saxo-bugles sous mes fenêtres,

Au revoir, mon bien cher ami, merci encore. Écrivez-moi., Je serai certainement à Paris le 20 septembre, peut-être avant, et peut-être, dans une de vos descentes avenue d’Iéna, pourrai-je vous saisir au passage ?