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Lorsque dans quelques mois vous viendrez me porter en terre à mon tour, vous descendrez, derrière le curé, le suisse et le bedeau, la Rue des Frères Rousse ! Avouez que c’est là une pensée touchante de ces bons gros cœurs qui savent aimer et se souvenir.

Au milieu de ce chaos où s’abêtit chaque jour davantage ma pauvre vieille tête, j’ai essayé de travailler, sans parvenir à rien faire en trois semaines. J’ai dû écrire à peu près trois pages… Les petits tracas de ménage, dont il faut à présent que je m’occupe, les visites du voisinage auxquelles je ne peux pas échapper, sept ou huit lettres par jour qui laissent toujours derrière elles sept ou huit lettres sans réponse ; le journal qu’il faut bien lire pour voir jusqu’où peuvent aller la bêtise et la scélératesse de nos maîtres ; un ou deux chapitres de quelque vieux livre où je vais me mettre à l’abri des stupidités des livres d’aujourd’hui, et voilà la journée finie.

Vous me trouverez bien changé, bien vieilli, les yeux usés et brûlés de larmes, ma pauvre vieille vilaine frimousse toute fripée comme une pomme de reinette au mois de janvier. Que c’est laid et sot d’être si vieux I

A bientôt, mon ami. Naturellement, vous ne me dites pas un mot de vous. Bons et bien affectueux souvenirs à toutes. Pour vous, bien cher et compatissant ami, je vous embrasse de tout ce pauvre cœur qui vous aime.


Laroche-Guyon, dimanche matin, 17 juillet 1904.

Reçu votre deuxième lettre (carte) hier, 5 minutes avant mon départ de Paris. Je vous écrirai très prochainement. Aujourd’hui, fourbu de chaleur, hébété de la détresse de cette maison vide, je vous donne seulement les nouvelles que vous demandez.

Santé passable, grande faiblesse générale, affreuse lâcheté de cœur pendant les derniers jours de Paris. L’arrivée ici, hier, a été horrible. Je suis resté une demi-heure dans ces chambres d’en haut, sanglotant comme un enfant. Je vais avoir du courage.

Je vous embrasse de tout ce qui reste de ce cœur brisé.

Le service aura lieu ici jeudi à 11 heures. Venez-y de toute votre affection pour moi, de toute votre tendresse pour lui. Que je vous sente près de moi. A revoir, mon bon et cher ami.


Laroche-Guyon, vendredi matin 23 juillet 1904.

Je voulais vous écrire aujourd’hui une longue lettre, mon cher ami, mais je viens de passer une mauvaise nuit, avec un