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qui revenaient à chaque instant sur ses lèvres ; cette voix toujours plus faible et comme enfantine ; ce souffle toujours plus haletant et plus court.

Mon ami, mon pauvre cher ami, pourquoi vous attrister ainsi de ma tristesse et de mon égoïste douleur, quand je ne devrais, quand je ne voudrais vous parler que de vous, quand je devrais tant vous remercier de ce que vous avez été pour le cher absent, de ces visites assidues qui lui faisaient tant de bien, et de l’affection fraternelle que vous lui avez sans cesse témoignée. Comme il vous aimait, et que de fois me l’a-t-il dit !...

Puisque vous faites de pieuses retraites dans votre petite église de Saint-Enogat je recommande à vos prières la grande âme si belle et si pure qui vient de retourner à Dieu. Vous me dites que vous vous sentez à votre aise dans cette humble église... Tant mieux ! Pensons à Dieu et ne craignons pas de crier à lui... Il ne nous demandera pas de le connaître, puisqu’il ne nous en a pas donné le pouvoir ; mais de l’avoir cherché ; de l’avoir pris à témoin de nos joies et de nos peines, de nos doutes et de nos douleurs.

Vale et me ama.


Laroche-Guyon, 16 septembre 1903.

Cher et bon ami, j’ai reçu votre lettre avant-hier, et puisque vous devez être à Paris ce soir, c’est donc à Paris que je vous écris. Vous me demandez à quelle époque vous pouvez venir à Laroche-Guyon !

Vous ne viendrez pas du tout à Laroche-Guyon. Je vous le demande, non pas pour vous ; cela sans doute ne vous arrêterait pas, — mais pour moi.

D’abord, je compte quitter Laroche-Guyon le 3 ou le 5 octobre pour retourner directement à Paris. Nous allons donc nous retrouver dans 15 jours ; et il est inutile, pour gagner l’un et l’autre si peu de temps, de vous imposer la fatigue et les émotions pénibles de ce triste voyage.

Ensuite, laissez-moi vous l’avouer dans toute la sincérité, dans tout l’égoïsme de ma douleur : j’aime mieux achever seul, comme je l’ai commencé, ce lamentable pèlerinage. Personne, jusqu’à présent, n’est venu distraire ma solitude, ou la partager avec celui qui ne me quitte, dans cette vieille maison, ni le jour ni la nuit.