Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/880

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Puis, à peine le mécanicien remonté sur son siège, et avant que j’aie eu le temps de hisser Mme F.,., dans son char, voilà la satanée machine qui part tout d’un trait sans que l’on puisse l’arrêter !... et tous les deux, elle et moi, obligés de monter toute la côte au petit trot, sous un soleil tropical, derrière le mastodonte ridicule et furieux, pendant que l’infortuné F..., embossé dans ses énormes lunettes noires, nous faisait de loin des gestes désespérés... Enfin, arrivé tout en haut, à bout de forces et de souffle, l’horrible animal s’arrêta, et nous pûmes le rejoindre. Je vous assure que les adieux n’ont pas été longs. Dès que ma belle compagne eut repris sa place auprès de son mari, je me suis jeté sur un tas de cailloux, et ruisselant, essoufflé, haletant, je leur ai crié d’une voix mourante ; Bon... voy... age ! Allons ! bon voy... age. — Et il m’a fallu ensuite redescendre toute la côte (2 kilomètres). Et quand, au bout d’une heure et demie, je suis rentré chez moi, la langue pendante et les yeux hors de la tête, mon frère m’a dit, pour me consoler : « Faut-il que tu sois bête !... » Et il disait bien !

A revoir, mon ami. Voilà une longue et sotte lettre. Celle-là, du moins, vous ne vous « arrêterez point pour la relire » auprès du bassin d’Apollon, et vous ne la « porterez pas sous votre gilet » comme un talisman ! ! ! Quelle bonne folie d’un grand cœur tendre et charmant ! Décidément, nous sommes deux échantillons très curieux de la faune d’un monde disparu. Demandez plutôt à la jeunesse qui vous entoure !

Adieu encore. Je crois que, cette année, nous rentrerons à Paris le 15 octobre. Mais vous n’y serez sans doute pas encore. Le parc de Versailles doit être si beau à la fin de l’automne ! — Rappelez-moi, je vous en prie, de très loin, au souvenir de votre charmante Africaine. Quanta Mme Carraby, elle a été si aimable, si bonne pour vos vieux amis que nous avons pour elle, comme pour vous, une affection profonde, j’allais dire fraternelle. A revoir. Quand et où ? En attendant, excusez ce long bavardage sénile, et n’en retenez que l’expression bien sincère de ma vieille et tendre amitié.


Paris, 27 juillet 1903.

Je sais, mon cher ami, avec quelle anxiété vous avez cherché à savoir ce que je devenais, — et avec quelle exactitude le bon Limet vous a donné de mes nouvelles.