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repris par cette petite fièvre nerveuse qui me ronge... Pourquoi vous dire tout cela, mon ami, vous qui venez d’être vraiment malade, et à qui je reproche sans cesse vos humeurs noires ?...

Adieu, mon ami, me voilà déjà las d’écrire. Et cependant j’aimerais tant causer avec vous !


Laroche-Guyon, 26 septembre 1900.

Mon cher ami, nous sommes bien trop contens de votre aimable lettre et des bonnes nouvelles qu’elle nous apporte, pour vous garder rancune de votre long silence.

Vous voilà donc complètement guéri, avec un regain de santé, de jeunesse et de vigueur ; entouré de toutes les affections et de toutes les tendresses qui doivent vous faire aimer la vie, ou du moins vous faire prendre en patience les tristesses et les misères dont il nous faut payer tous nos bonheurs. Et vous voilà aussi promenant votre convalescence mélancolique à Versailles, dans les allées de ce beau parc tout peuplé de souvenirs illustres ; à l’ombre bien alignée de ces charmilles majestueuses ; au bruit solennel de ces eaux « qui ne se taisent ni jour ni nuit, » et où l’écho des gloires d’autrefois semble se prolonger doucement. Quoi que vous en disiez, mon cher ami, et malgré votre prétendue sauvagerie, vous êtes bien le sauvage le plus citadin que je connaisse, le plus aristocrate des bourgeois, et le moins rustique des grands seigneurs. En fait de campagne, il vous faut les allées d’Étigny ou le tapis vert de Versailles. Sylvæ sint consuls dignæ. Tout est bien, d’ailleurs, puisque, — au milieu de ces dieux et de ces déesses de bronze qui vous sourient au passage, malgré les agaceries des naïades qui sortent de l’onde à votre approche, et jusque sur les trois marches de marbre rose où se pressent autour de vous les La Vallière et les Montespan, les Pompadour et les Châteauroux, — vous n’oubliez pas tout à fait vos amis. Pour eux, mon cher ami, il n’est ni déesses ni naïades, ni grandes dames ni marquises. Nous sommes ici depuis un mois, tout seuls ; ne souhaitant même pas que rien vienne égayer notre tristesse et distraire notre solitude ; trop heureux, à la fin de chaque journée, qu’elle ne nous ait pas apporté quelque surcroit d’inquiétude ou de misère.

Faut-il vous parler de moi ? Que vous en dirai-je, aussi, que vous ne sachiez déjà, si ce n’est que, de jour en jour, l’hébétude