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Si vous êtes encore à Dinard, donnez, de ma part, une bonne poignée de main à notre confrère Fabrice Carré. Ne me gardez pas rancune de cet énorme bavardage, et croyez à la très vive et très profonde affection des deux frères.


Laroche-Guyon, 20 septembre 1900.

Pardonnez-moi, cher et bon ami, de répondre si tard, et par quelques mots seulement, à votre aimable lettre. Depuis plusieurs jours j’étais très souffrant. L’estomac et la tête étaient tous les doux en détresse. Je ne pouvais plus lire une page ni écrire dix lignes sans être pris d’étourdissemens et de vertiges qui, pour mon frère et pour moi, commençaient à m’inquiéter assez vivement. Je suis beaucoup mieux maintenant, mais il me faut, par ordre, marcher beaucoup, très peu penser, très peu lire, très peu écrire... enfin très peu vivre par l’esprit et par le cœur afin que la Bête puisse paître et ruminer en paix. Que votre amitié, d’ailleurs, ne s’inquiète pas de cette défaillance physique. Je m’étais, pendant quelque temps, obstiné à faire de trop longues lectures ; et ma pauvre vieille cervelle n’était plus assez forte pour supporter sans quelque dommage ce surmenage littéraire. Maintenant, tout est bien, et d’autant mieux, que la santé de mon compagnon paraît s’accommoder à merveille de cette bonne chaleur et des splendeurs attardées de cette fin d’été magnifique.

Pendant plus de quinze jours, nous sommes restés seuls avec notre vieille amie. Mme H..., que vous avez vue souvent chez nous ; une de nos très rares contemporaines, la seule personne, je crois, qui ait été dans l’intimité de mon père et de ma mère ; le seul être au monde avec qui nous puissions parler familièrement de nos morts.

Sauf deux ou trois jours, tout ce mois de septembre a été admirable. Ce pays, — que vous n’avez pas voulu connaître, — est certainement un des plus beaux pays de France. Mon frère s’y plaît et s’y trouve bien ; nous avons près de nous, se succédant les uns aux autres, des hôtes aimables qui ne cherchent qu’à nous distraire. De tous côtés, des amis fidèles nous envoient chaque jour des témoignages précieux de leur affection profonde.

Et malgré tant de raisons que j’aurais d’être heureux autant qu’on peut l’être à mon âge, — je me sens triste, inquiet, agité, à charge aux autres par mon humeur chagrine et par mon mutisme taciturne ; me voici, depuis que j’ai commencé ce griffonnage,