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ce serait le souverain bonheur ; mais le chercher, le chercher sincèrement, ardemment, d’un cœur soumis et d’un violent désir, n’est-ce donc rien vraiment ? Ne préférez-vous pas votre souffrance au bonheur imbécile de tant de gens qui, n’ayant jamais pensé à rien, au delà ni au-dessus de leurs procès, de leur négoce ou de leurs plaisirs, ignoreront toujours ce que c’est que de douter ou de croire ? Voilà mon petit sermon.

Votre grand ami le Père Didon ne le trouverait peut-être pas très orthodoxe, mais je suis sûr qu’il ne le condamnerait pas trop sévèrement. Je suis sûr aussi que, connaissant comme il les doit connaître les tourmens de votre grand cœur, il compatirait fraternellement à vos souffrances. Comment ne peut-il pas y apporter quelque allégement ?

Faute de mieux, rappelez-vous cette page admirable de Musset, L’Espoir en Dieu, — et les deux vers qui la terminent (sur la prière) ;


Si les cieux sont déserts, nous n’offensons personne.
Si quelqu’un nous entend, qu’il nous prenne en pitié !


Sont-ce ces graves pensées, mon cher ami, et cette hantise douloureuse de l’incompréhensible et de l’au-delà qui vous rendent si triste et assombrissent ainsi votre vie ? Je lis vos lettres à mon frère (vous ne m’en voudrez pas, sans doute) et, cette fois encore, il s’inquiète de cette éternelle mélancolie qui semble peser plus lourdement, de jour en jour, sur votre bonheur. Je n’ai à vous faire sur ce point aucun reproche. Je n’ai à vous donner aucun conseil, car, vous le savez trop, je ne suis pas plus gai que vous, et je n’ai pas l’humeur beaucoup plus enjouée. Tout au plus pourrais-je me permettre de vous dire que j’ai quelques sujets de chagrin de plus que vous... mais chacun en dit autant de son voisin et de lui-même. Nous ne plaignons guère que nous ; nous supportons légèrement les maux des autres.


Et lorsque nous avons quelque ennui dans le cœur.
Nous nous imaginons, pauvres fous que nous sommes,
Que personne avant nous n’a connu la douleur !


Au lieu de nous quereller pour savoir quel est, de nous deux, le plus intéressant et le plus à plaindre, nous ferons mieux, l’un et l’autre, de regarder autour de nous, de penser par exemple, à votre pauvre ami Fabrice Carré, à sa femme dont