Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/873

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien sincère gratitude. Ce n’est pas à Paris que j’ai reçu votre lettre, mais à Laroche où nous sommes revenus samedi dernier pour y rester, à moins d’événemens imprévus, jusqu’aux premiers jours de novembre.

Nous sommes tous les deux assez bien portans. Tout est donc, de ce côté, pour le mieux ou pour le moins mal possible ; car, à notre âge, nous n’avons pas le droit d’être bien difficiles, et nous devons remercier Dieu de tous les maux que nous n’avons pas...

Remercier Dieu !... Ces mots, en venant par hasard sous ma plume, me rappellent tout ce que vous m’écrivez sur votre état d’âme, comme disent nos romanciers psychologues, sur les souffrances, les anxiétés, les tourmens de votre cœur inquiet ; sur ces combats douloureux où votre raison lutte, dites-vous, contre la foi de votre enfance, et contre les saintes crédulités des âmes pieuses qui prient pour vous... Hélas ! mon ami, votre mal est le mien, c’est le mal de tous les hommes de notre temps, — j’entends, de tous ceux que ne prennent pas tout entiers les besognes vulgaires de chaque jour, le vil souci de l’argent et des affaires, les passions basses et les ambitions servîtes de ce monde ; — de tous ceux qui sont dignes de penser — et de souffrir. Moi aussi, je pense, je souffre, je crois et je doute tour à tour. Moi aussi, je suis entouré d’amitiés saintes qui appellent sur moi la lumière. Il est bien tard pour que je puisse espérer le complet apaisement d’un cœur qui ne veut pas vieillir, et d’une âme qui, comme la vôtre, n’a jamais connu le repos. Mais ce que je crois fermement, pour vous comme pour moi, c’est que le désir de croire, la volonté et la passion de croire nous seront comptés pour beaucoup dans le Jugement que nous aurons à subir un jour. Chaque soir, là-bas, devant le fauteuil où s’asseyait ma sainte mère, — ici, devant le lit où mon père est mort, et où je m’endors en pensant à eux, je m’agenouille et je prie, si c’est prier que de laisser monter mon âme vers ces espaces infinis où je cherche, où j’appelle, où ma pensée éperdue sent la toute-puissance immuable de l’être inconnu qui tient cet univers dans sa main. Et, quand j’ai fini de rêver, de pleurer bêtement, de crier quelquefois comme un enfant, je m’apaise dans la vieille prière d’autrefois, et je marmotte le « Notre-Père » de l’Évangile, jusqu’à ce que le sommeil, ou quelque réminiscence littéraire vienne brouiller tout à fait mes idées et endormir tout ce tumulte. Trouver Dieu, mon ami !... Je crois, comme vous, que c’est, que