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est un labourage informe, coupé en petits morceaux par des palissades qui ressemblent à des parcs de bestiaux. L’Esplanade des Invalides est en friche (ceci à la lettre). Sur les deux côtés, à travers les arbres qui restent, à cheval sur leurs branches mutilées, ils maçonnent d’énormes galeries en plâtre et en fer qui étranglent l’illustre monument de Mansard, et d’ignobles bâtisses vitrées, plaquées de dessins en briques, viennent affronter, à trente pas, les vieux canons conquis par Turenne, par Catinat et par Luxembourg... Laissons cela encore.

En attendant, voilà plusieurs pages que je griffonne sans vous avoir dit un mot de vous, — vous les tranquilles, vous les lointains, vous les heureux, — qui ne savez pas jouir de votre bonheur. Votre lettre, cependant, mon bien cher ami, me semble un peu moins triste que la précédente ; et je vois avec grand plaisir que vous vous laissez prendre au charme de cette belle et rude nature qui vous entoure, au bercement et au bruissement de cette grande mer qui emporte si loin et si haut la pensée, et qui de nos tristesses nous laisse seulement la mélancolie. Pourvu qu’en calmant votre cœur, ce profond repos n’endorme pas trop profondément votre esprit et votre paresse ! Oserai-je, une dernière fois, vous demander de vous mettre au travail, de rapporter de là-bas quelques pages, quelques lignes qui nous rappellent le brillant écrivain d’autrefois et de naguère ?

... Allons, adieu, mon ami. En voilà beaucoup pour un jour. Je sens qu’à force de grincer en courant sur ces petits bouts de papier, ma plume s’alourdit et ma main se fatigue. J’ai peur que vous ne m’écriviez plus, pour vous épargner l’ennui de déchiffrer mes réponses. Pardonnez-moi cet énorme bavardage. Prenez-en seulement pour Mme Carraby le souvenir bien affectueux et respectueux que je lui adresse.

Pour vous, mon bon et cher camarade, croyez-moi toujours, pendant que petit vieux Bonhomme vit encore, votre ami bien tendrement dévoué.


Laroche-Guyon (Seine-el-Oise), 8 septembre 1899.

Je ne sais pas si cette lettre vous trouvera encore à Dinard, mon cher ami, mais je ne veux pas tarder à vous remercier de votre bon et fidèle souvenir. Mon frère en a été touché comme moi, et nous vous adressons tous les deux l’expression de notre