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nous un peu de mouvement et de bruit ; pour voir les rares amis qui n’étaient pas encore partis pour les longs voyages ou les rives prochaines. Le mouvement, le bruit, nous n’en avons eu que trop !… Quel pays ! Quel temps !

Quel déchaînement de passions furieuses et stupides 1 Nous vivons ici dans un tourbillon de folies et de crimes… C’est comme une débandade de fous en pleine liberté… un asile d’aliénés, où il n’y aurait ni médecin, ni directeur, ni gardiens… Car, en ce moment, gouvernans et gouvernés de cette République, médecins, directeurs et gardiens de ce Charenton politique, tout le monde est épileptique, idiot ou fou à lier. La tentative d’assassinat commise contre notre confrère Labori semble avoir encore exaspéré la fureur de tous ces fauves, et je ne doute pas que, d’ici à peu de temps, nous en arrivions aux bombes et aux coups de fusil. Laissons encore cela… ni vous ni moi n’y pouvons rien.

La semaine dernière, il y avait encore au Palais quelques avocats ; au Conseil, nous nous sommes trouvés quatre : Deloyson, Devin, Rousset et moi. Cartier est à Carrières. Il m’a écrit il y a quelques jours. Cresson est à Granville. Suin est tout près de vous à Paramé. Ployer à Évian. Bellet part aujourd’hui pour le Dauphiné. Quant à Limet, il est partout et ailleurs. Après deux ou trois voyages je ne sais où, il a passé, la semaine dernière, deux jours à Paris. J’ai pu mettre la main sur ce papillon, et je l’ai pris délicatement par les deux ailes, entre l’index et le pouce, mais ç’a été l’affaire d’un instant. Il a vite repris son vol ; et il doit être en ce moment à Bayreuth. Quand je vous aurai dit que le bon Jalabert a quitté pendant quelques heures ses ombrages et son joli cottage de Bougival pour venir déjeuner avec nous, je vous aurai nommé à peu près tous ceux de nos amis dont les faits et gestes vous peuvent intéresser. Au milieu des tempêtes civiles et des catastrophes qui, de très près, nous menacent, on continue avec une active sérénité, avec une tranquillité fiévreuse, les magnifiques et stupides préparatifs de l’Exposition. Les architectes, le sourire sur les lèvres, abattent des forêts, dévastent fleurs et gazons, arrachent les pavés, creusent de toutes parts de grands trous et d’immenses fondrières pour y planter les racines de ces Palais gigantesques qui, dans quelques mois, doivent porter jusqu’au ciel le magnifique témoignage de notre néant ! toute la partie des Champs-Élysées qui longe la rivière