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mieux que de flâner, en broyant du noir, dans les petits coins déserts de votre plage.

Avez-vous assez de ma prose, mon cher ami, et me demanderez-vous encore de vous écrire ? Que faut-il vous dire encore ? Que nous sommes ici absolument seuls ; et que cette solitude convient à merveille aux deux vieux ermites dont vous connaissez l’humeur taciturne et les habitudes silencieuses…

Après quoi, ayant beaucoup bavardé pour un jour, je vous tiens quitte enfin de mes radotages… Non pas, cependant, sans vous avoir remercié encore une fois de votre bonne lettre, et sans vous avoir demandé de me rappeler au souvenir de Mme Carraby, de Mme de Dampierre et de Mlle Marie. Si même M. de Dampierre a quelque souvenance d’un vieux pékin qu’il a entrevu quelquefois, de très loin, chez monsieur son beaupère, je le prierai d’agréer la poignée de main républicaine de votre ami bien cordialement dévoué.


Laroche-Guyon, 21 juillet 1899.

Mon cher ami.

Dans la solitude profonde où nous vivons, et au milieu de toutes nos tristesses, nous pensons beaucoup à vous et à tout ce qui vous est cher.

Est-il besoin de vous dire que, de toute mon âme, de toute mon affection pour vous, je m’associe à vos émotions et à vos espérances ? C’est pour moi un grand chagrin, de ne pas pouvoir me joindre à tous ceux de vos amis qui apporteront dans quelques jours au jeune ménage leurs félicitations et leurs vœux ; mais je ne peux pas songer en ce moment, à laisser seul, ici, mon pauvre cher compagnon. Il est si malheureux et si triste ! L’affaiblissement de sa vue, l’inaction, la dépendance à laquelle il est condamné, lui rendent la solitude si pénible et si lourde !

C’est à peine si, dans la journée, il peut lire lentement et avec une loupe, quelques pages, et dans une heure quelques lignes. Il écrit difficilement, comme vous en avez pu juger peut-être par le petit mot qu’il a voulu vous envoyer ; et chaque fois que sa main hésite ou qu’un mot trébuche sous sa plume, ce sont des impatiences et des révoltes que je comprends trop bien, hélas ! Sentant que je le peux, je me fais son secrétaire et son lecteur, mais ni ces longues lectures, ni nos fraternelles causeries ne peuvent tromper son ennui, distraire sa