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de votre modestie et de votre paresse ; la paresse et la modestie vont chez vous, je crois, de compagnie et font ensemble bon ménage. Ajoutons-y un peu d’orgueil et beaucoup d’entêtement ; je vous aurai dit, sur votre caractère et sur vos défauts, à peu près tout ce que je pense. Êtes-vous content ? Quant à votre talent d’écrire, quant à la valeur de l’étude que vous venez de publier, je n’ai rien dit que je ne sois prêt à répéter, à vous et aux autres. Je l’ai dit, partout et aussi souvent, et aussi vivement que je l’ai pu. Je n’ai rencontré que des gens qui pensaient comme moi.

Ce que je voudrais, c’est que, vous aussi, vous fussiez de mon avis et du leur.

Pendant tout le temps que nous avons passé à Paris, nous n’avons vu presque personne. Si fait, pourtant ! Limet, plus jeune, plus gai, plus alerte que jamais. Il arrivait de Bayreuth, où il avait été accomplir pieusement son quatrième ou cinquième pèlerinage, et d’où il m’avait écrit une longue lettre toute remplie du grand souffle wagnérien. Il paraît toutefois qu’il était sorti du Temple un peu étourdi de ce vacarme sacré, et qu’il éprouvait un grand besoin de silence et de repos, car pour se rafraîchir la tête et se défatiguer les oreilles, il s’en est allé passer quinze jours, tout seul, au fond d’une vallée de l’Appenzell, où il demandait au ranz des vaches l’oubli des rugissemens du dieu Wotan et des chevauchées des Walkyries.

Nous avons, comme vous sans doute, un temps épouvantable : des rafales de vent, des averses continuelles, et un froid de novembre. La Seine, fouettée par la tourmente, est une mer véritable, et vos vagues d’Ostende ne sont pas plus houleuses.

Ostende. Est-ce que, par ce temps endiablé, vous allez y rester longtemps encore ? Vous avez beau dire, je crois bien que les belles dames de la plage ne vous sont pas si indifférentes. Pourrez-vous bientôt vous arracher à ce monde cosmopolite dont vous me parlez ; et comptez-vous cette année achever l’automne dans quelque château des bords de la Seine ou de la Loire ? Quoi que vous fassiez, mon cher ami, donnez-moi de vos nouvelles. Jouissez de votre repos, de votre jeunesse et de tous vos bonheurs. N’oubliez pas les deux vieux frères qui vous aiment bien sincèrement, et croyez-moi toujours votre ami bien tendrement dévoué.