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efforts pour vaincre la paresse, la nonchalance narquoise et la timidité bourrue de cet écrivain réfractaire.

Malgré ses belles phrases sur « L’Éloquence judiciaire, » le Barreau n’est plus aujourd’hui et ne sera plus jamais ce qu’il a été dans nos jeunes années. On n’y retrouve même plus, à défaut des grands talens que nous admirions autrefois, les relations affectueuses, la familiarité spirituelle et confiante, la belle humeur et les bonnes causeries, ce je ne sais quoi de bourgeois et d’artiste, de très vieux et de très jeune, qui faisait le charme original de cette société très particulière et tout à fait française.

J’ai tort, peut-être, de médire ainsi de ce petit monde que j’aime, qui m’a fait le peu que je suis, et qui m’a donné, je ne sais vraiment pas pourquoi, une si longue popularité. Mais notre cher misanthrope peut en prendre plus à son aise avec lui, sans qu’on le doive accuser pour cela d’ingratitude... Sans quitter le Palais, et sans cesser absolument de plaider, puisqu’il y trouve son plaisir, il pourrait trouver, dans la littérature, l’emploi de ses loisirs, et du rare talent d’écrire dont il vient de nous donner la mesure.

Voilà ce que je me hasarde à lui dire timidement quelquefois, et ce qu’hier encore je m’efforçais de lui faire entendre. Mais il n’y a qu’une personne au monde qui connaisse bien les accès de cette âme doucement récalcitrante, et qui puisse animer d’une ardeur salutaire cet esprit charmant, mélancolique et rétif. Cette personne, je ne vous la nommerai pas, chère Madame et amie. Puisque notre homme va vous retrouver dans quelques jours, vous saurez mieux que moi ce qu’il lui faut dire, et comment il le lui faut dire. Il y a, à la fin de la belle étude dont il s’agit, quelques lignes empreintes d’une charmante et douloureuse sérénité. Il ne faut pas le laisser aller à ce découragement tranquille, à ce détachement philosophique de soi-même. Il est trop jeune d’esprit et de cœur pour ce renoncement et ces abdications, dont vous saurez bien le faire revenir.

De moi, de mon cher compagnon, de notre vieux nous, je n’ai rien d’intéressant à vous dire. Après un séjour d’un mois à la campagne, nous sommes revenus, il y a huit ou dix jours, à Paris. C’est là que, dans cette saison, l’on trouve le repos et la solitude. La santé de mon frère, qui m’avait donné, là-bas, quelque inquiétude, est meilleure depuis que nous sommes de