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de Paris, à Lauterbrunnen, au milieu des ahurissemens d’un voyage précipité. Nous l’avons lue, mon frère et moi, avec le plaisir le plus vif ; mais je n’ai pas voulu vous écrire avant d’avoir au moins régalé mes yeux de la précieuse friandise que vous m’annonciez. Arrivés à Paris il y a quatre jours, nous avons trouvé cette chère angelica archangelica (sachez que c’est là son petit nom botanique) qui était allée nous chercher à Laroche-Guyon, et que notre intendant fidèle avait renvoyée à notre boulevard. Nous n’avons pas voulu garder pour nous seuls cet illustre bâton ; et nous l’avons rapporté ici pour en faire les honneurs aux invités de la première série, qui vont arriver dans quelques jours.

Êtes-vous encore à Niort, ou bien êtes-vous revenu à Dinard ? Dans tous les cas, il me semble que vous menez une vie bien tranquille et bien patriarcale. Avez-vous donc renoncé aux voyages lointains ? Et où est le temps où vous alliez à Constantinople civiliser les belles personnes du sérail et révolutionner le harem du Grand Turc ?

Nous autres octogénaires, nous sommes plus remuans et plus impétueux que vous ne paraissez l’être cette année. Vaincus du Temps, comme disait le bon Malherbe, nous avions résolu d’être sages et de venir, dès le mois d’août, nous renfermer ici, et de n’en point bouger jusqu’au mois de novembre. Vaines résolutions ! Quand nous avons vu tous les badauds se mettre en route, tous les snobs et tous les cockneys de Paris boucler leur valise et boutonner leurs vestons, nous avons senti nos vieilles jambes s’agiter malgré nous en cadence. Il nous est monté au cerveau des bouffées de senteurs alpestres ; et le 13 août, sans aucun itinéraire fixé d’avance, ne sachant pas la veille au soir par quelle gare nous partirions le lendemain matin, dédaigneux de la pluie qui faisait rage, nous nous sommes trouvés dans un wagon du P.-L.-M., qui nous a déposés le soir à Lausanne. De Lausanne, nous sommes descendus à Vevey. Là, nous avons frété un berlingot qui, en deux jours, à travers un très beau pays, nous a conduits au bord du lac de Thoune, à Spiez. De Spiez nous avons fait quelques belles promenades, notamment à Beatenberg, une montagne à la mode que je vous recommande et qui est tout à fait digne de vous, où l’on grimpe par un de ces funiculaires si communs à présent dans toute la Suisse ; et là-haut, tout un monde élégant et sélect ; des