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Ne croyez pas que j’exagère d’un jour ni d’une étape. C’est l’itinéraire exact, la volée vagabonde de cet aimable papillon dont ni le temps ni la poussière n’ont alourdi l’aile ouverte à tous les vents et barbouillée du duvet de toutes les fleurs.

Mon frère a été fort enrhumé pendant quelques jours, ce dont j’avais quelque souci ; mais il va très bien maintenant ; et il a repris, avec ses promenades matinales et ses herborisations, l’étude des vieux manuscrits qu’il exhume un à un du chartrier du château. Avec cela menant à merveille sa maison ; très au courant des choses du dehors ; aimable et souriant à ses hôtes ; très occupé de leur bien-être et de leur plaisir : c’est vraiment un homme bien complet et qui fait honte à l’éternelle enfance de ma vieillesse imbécile ! Car je vous assure sans vanité ni coquetterie, mon bien cher ami, que je suis bien complètement fini ; ramolli sans ressource ; vanné et vidé, comme disent les jeunes. Je vais, je viens, je tourne et je retourne ; je lis une page par-ci, j’écris dix lignes par-là, que j’efface et déchire aussitôt. Je gâche ma journée sans plaisir et sans profit. Je suis toujours à la veille de faire quelque chose et au lendemain de n’avoir rien fait ; mécontent de tout, de tous et de moi plus que de personne. Taciturne et grognon, le sentant et m’en irritant moi-même. Je me rattrape seulement et me venge de ma paresse en écrivant à mes amis des griffonnages sans fin quand ils ont l’imprudence de m’en donner le prétexte, comme vous l’avez fait à vos risques et périls. Croyez-moi toujours votre vieux camarade très dévoué.


Mardi, 26 février 1895.

Mon cher ami.

Votre lettre est bien imprudente... Puisque vous êtes libre cette semaine, voulez-vous venir faire maigre dans notre chartreuse, demain mercredi des Cendres. Vous ne trouverez que de saintes gens et de bons exemples ; et de la morue ou quelque chose d’approchant.

Si, à sept heures dix, vous n’êtes pas là, nous nous mettrons à table sans vous, en arrosant notre brouet de nos larmes.


Laroche-Guyon, 1er septembre 1895.

Mon cher ami, pardonnez-moi, je vous en prie, d’avoir laissé si longtemps sans réponse votre bonne lettre. Je l’ai reçue loin