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en retraite. Nous avons hébergé déjà la famille géante des Picot, le père, la mère, et six enfans dont le plus petit a la tête de plus que moi ; le docteur Marjolin et sa femme ; le docteur Gontier, tous les Duverdy, qui ont, à deux lieues d’ici, un très joli pavillon de chasse ; notre confrère Clouet ; nos indigènes d’Evreux ; le bon Limet, arrivant tout droit de Bayreuth : je ne vous nomme pas ceux que vous ne connaissez ou ne pouvez connaître. Voilà nos Compiègne et nos Marly, à nous autres prolétaires, et qui sans doute, au milieu des magnificences tudesques de Godesberg, doivent vous paraître très misérables. Heureusement nous avons eu, pendant plus de quinze jours, un temps magnifique ; et nous avons pu faire faire à nos hôtes de très belles promenades.

Malgré ces distractions mondaines, mon frère poursuit, avec sa persévérance accoutumée, une très belle et très savante histoire de Laroche-Guyon, qu’il a commencée il y a quatre ans et qu’il est sur le point d’achever.

Moi, mon cher ami, je ne fais rien et je ne suis plus, vraiment, bon à rien. Quoique je sois assez bien portant, mes yeux, pour la première fois de ma vie, me marchandent leurs services ; et tout ce que je peux faire, c’est de tenir au courant, tant bien que mal, une volumineuse correspondance que chaque courrier renouvelle et qu’a grossie énormément depuis deux mois, il faut bien le dire, le succès inespéré de mon pauvre petit gros Mirabeau. J’ai reçu, dans ces derniers jours encore, beaucoup de lettres à ce sujet, auxquelles il me faut répondre ; et plusieurs articles de journaux dont il faut remercier les auteurs. A ce propos, avez-vous lu, dans un numéro du Temps du mois dernier, un article contenant un éreintement dans toutes les règles de mon malheureux petit livre ? Il assure que je ne sais ni le français ni l’histoire. Je m’en doutais parbleu bien, mais je suis de l’avis de Bridoison : « On ne se dit ces choses-là qu’à soi-même. »

Et vous, mon ami, que faites-vous ? Comment occupez- vous vos loisirs aristocratiques ? Comment se portent Mme Carraby, Mme de Dampierre, et la future petite marquise ? Vous ne me dites rien de tout cela ; et vous me devez une autre lettre ; car il me paraît assez peu probable que je vous revoie avant le mois de novembre. Puisque nos seigneurs du Palais n’ont pas jugé à propos de vous donner au conseil de l’Ordre la