Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/852

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Laroche-Guyon, 22 septembre 1891.

Mon cher ami,

Depuis que je ne vous ai vu, nous avons mené une existence assez nomade, et depuis quinze jours seulement je suis dans un gîte qui n’est pas une auberge, dans un chez moi qui n’est pas le chez nous de tout le monde. Nous avons quitté Paris dans les premiers jours du mois d’août, fuyant la pluie et le froid de cet été maussade, et décidés à chercher le soleil partout où nous aurions quelque chance de l’atteindre. Nous nous sommes dirigés sur la Provence, lentement, sagement, à petites journées, comme de bons vieux pèlerins que nous sommes, couchant à Lyon, à Grenoble, à Sisteron (grand Dieu !…), à Draguignan. Pour arriver jusqu’à Grasse, nous avons mis cinq jours, — à peu près le temps qu’il fallait à Mme de Sévigné, il y a deux cents ans, pour aller voir, à Grignan, sa pécore de fille.

Vous ai-je dit que cette charmante ville de Grasse est notre pays d’origine ? Nous y avons encore un assez grand nombre de parens maternels, et de vieux amis de notre famille. Nous avons passé là huit ou dix jours très agréables, sous un ciel sans nuages, par une bonne chaleur de 30 degrés ; respirant avec délice la senteur enivrante de la menthe, des lavandes, des jasmins et des champs de tubéreuses en fleurs ; fêtés et choyés par de braves gens pleins de finesse et d’esprit ; tout entiers au plaisir d’avoir chaud, d’être bien, et de nous laisser vivre.

De Grasse, nous sommes allés en nous promenant à Cannes, à Monaco, à Menton, où nous avons fait une excursion magnifique jusqu’à la frontière d’Italie. Puis nous sommes revenus en flânant par Toulon, Marseille et Nîmes. Pendant vingt-deux jours, nous avons eu constamment un temps admirable. Ce bain de soleil et de chaleur m’a fait le plus grand bien, et j’y ai retrouvé le restant de force que je pouvais demander à ma convalescence septuagénaire. Quant à mon brave compagnon, il y a retrouvé son antique vigueur ; et jamais il ne s’est mieux porté,

À Paris, nous n’avons guère pris que le temps de défaire nos malles et les refaire. Le 1er septembre, nous sommes venus, comme tous les ans, nous établir ici, dans notre vieille petite maison, où nous recevons par série ceux de nos amis qui ne dédaignent pas l’hospitalité rustique de notre bicoque d’épiciers