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son action inspirée et soutenue par l’amour divin... Oui, aimer, tout est là ! Les Barbares peuvent venir ! Le Christ n’a-t-il pas dit : « Je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles ? » Tant qu’il y aura deux hommes assemblés pour l’amour de Lui, le monde ne sera pas complètement perdu, l’Église et la civilisation seront sauvées. La religion du Christ est un levain d’action, d’intelligence, de sacrifice et de charité. Si le monde n’est pas, dès aujourd’hui, condamné, si le jour du Jugement est encore lointain, c’est d’elle que sortiront les renaissances de l’avenir...

Ainsi, Augustin oubliait ses souffrances et ses déceptions humaines dans la pensée que, malgré tout, l’Église est éternelle. La Cité de Dieu recueille les débris de la Cité terrestre : « Le Goth n’enlève pas ce que garde le Christ, non tol’it Gothus quod custodit Christus ! » Et, ses souffrances augmentant, il ne voulait plus considérer que cette Cité impérissable, « où l’on se reposera, où l’on verra, où l’on aimera, » — où l’on retrouvera tous les chers absens. Tous, il les appelait, en cette minute suprême : Monique, Adéodat, et celle qui avait failli se perdre à cause de lui, et tous ceux qu’il avait chéris...

Le 5 des calendes de septembre, l’évêque Augustin était bien bas. On priait pour lui dans les églises d’Hippone et surtout dans cette basilique de la Paix, où, pendant si longtemps, il avait prêché et travaillé pour les autres. Possidius de Guelma se trouvait dans la chambre de l’évêque, entouré de ses clercs et de ses moines. Ils unirent leurs prières aux siennes. Et, sans doute aussi, ils entonnèrent, pour la dernière fois devant lui, un de ces chants liturgiques qui, autrefois, à Milan, l’émouvaient jusqu’aux larmes, et que, depuis l’invasion, sous le coup de la terreur barbare, on n’osait plus chanter. Augustin, se défendant encore contre la douceur trop pénétrante de la mélodie, n’était attentif qu’au sens des paroles, et il se répétait :

— « Mon âme a soif du Dieu vivant. Quand paraîtrai-je devant sa face ?... »

Ou encore :

« — Celui qui est la Vie est descendu sur cette terre. Il a souffert notre mort, et il l’a fait mourir par l’abondance de sa vie... La Vie est descendue vers vous, — et vous ne voulez pas monter vers Elle, et vivre... ? »

Lui, il entrait dans la Vie et dans la Gloire. Il s’en allait doucement,