Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/796

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lendemain des désastres, répandraient le bon grain de Vérité. Des livres, des monastères, des prêtres, des alimens substantiels et sûrs pour les esprits, des refuges et des guides pour les âmes, voilà ce qu’il léguait aux ouvriers de l’avenir. Tout était prêt pour les semailles futures... Et, avec un peu de joie mêlée à sa peine, il lisait sur la muraille, dans l’angle de son lit, le verset du psaume : « Exibit homo ad opus suum et operationem suam usque ad vesperum... L’homme sortira pour aller à sa tâche, et il travaillera jusqu’au soir. » Lui aussi, il avait travaillé jusqu’au soir.

Si, maintenant, la récompense terrestre semblait lui échapper, si tout s’abîmait autour de lui, si sa ville épiscopale était assiégée, si lui-même, quoique vaillant encore, — « il avait conservé, dit Possidius, l’usage de tous ses membres, avec une ouïe délicate et une vue parfaite, » — si lui-même allait mourir trop tôt, c’était sans doute en expiation des fautes de sa jeunesse. A ce souvenir de ses égaremens, ses larmes coulaient plus abondantes... Pourtant, quelle qu’eût été la folie de sa conduite d’alors, il y distinguait les marques certaines de sa vocation. Il se rappelait le désespoir et les pleurs de sa mère, mais aussi son exaltation, en lisant l’Hortensius, son dégoût du monde et de tout, lorsqu’il avait perdu son ami. Dans le vieil homme, il reconnaissait l’homme nouveau. Et il se disait : « Quoi donc ? Mais c’était moi-même ! Je n’ai pas changé. Je me suis seulement retrouvé. Je n’ai changé que mes voies. Dès mon adolescence, au plus fort de mes erreurs, déjà, je m’étais levé, mon Dieu, pour retourner vers toi ! »

Sa pire folie, ç’avait été de vouloir tout comprendre. L’humilité de l’esprit lui manquait. Enfin, Dieu lui avait donné la grâce de soumettre son intelligence à la foi. Il avait cru, et ensuite il avait compris, comme il avait pu, autant qu’il avait pu. D’abord, en toute simplicité, il avouait ce qu’il ne comprenait pas. Et puis la foi lui avait ouvert les chemins de l’intelligence. Il avait magnifiquement usé de sa raison, dans les limites assignées à la faiblesse mortelle. N’était-ce pas là le vœu superbe de sa jeunesse ? Comprendre ! Quel plus haut destin !

Aimer aussi ! Après l’avoir détaché des passions coupables, il avait bien usé de son cœur. Il songeait à tout ce qu’il avait répandu de charité sur son peuple et sur l’Église, à tout ce qu’il avait aimé en Dieu, — à tout ce qu’il avait fait, à toute la suite de