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les ariens, les Barbares. Par les Barbares, les ariens allaient être les maîtres de l’Afrique. Les églises, reconstituées au prix de si longs efforts, seraient encore une fois détruites. Et voici que l’autorité qui aurait pu les soutenir, sur laquelle il avait trop compté peut-être, celle de l’Empire, s’effondrait, elle aussi ! C’en était fait de l’ordre, de la paix matérielle, de ce minimum de sécurité qui est indispensable à toute œuvre spirituelle. D’un bout à l’autre du monde occidental, la Barbarie triomphait…

Parfois, au milieu de ces méditations douloureuses du moribond, des sonneries de clairons éclataient : il y avait une alerte aux remparts. Et ces sonneries, dans le demi-délire de la fièvre, prenaient, pour lui, un accent lugubre, comme les trompettes annonciatrices du Jugement. Oui, on pouvait craindre que le Jour de Colère ne fût arrivé. Était-ce vraiment la fin du monde, ou seulement la fin d’un monde ?… Certes, on voyait alors assez d’horreurs et de calamités, pour qu’on ne songeât au lendemain qu’avec épouvante. Bien des signes annoncés par l’Écriture effrayaient les imaginations : les dévastations, les guerres, les persécutions contre l’Église se multipliaient avec une continuité et une cruauté terrifiantes. Néanmoins, tous les signes prédits n’étaient pas là. Que de fois déjà l’humanité a été trompée dans ses terreurs et dans ses espérances ! En réalité, et bien que tout présage la fin du siècle, on ne sait ni le jour ni l’heure du Jugement. C’est pourquoi il faut veiller sans cesse, selon la parole du Christ !… Mais, si cette épreuve de la guerre barbare doit passer comme les autres, qu’elle est pénible, pour l’instant ! Qu’elle est dure surtout pour Augustin, qui voit par elle presque toute son œuvre renversée !…

Au moins, cette pensée le consolait que, depuis sa conversion, pendant quarante ans et plus, il avait fait tout ce qu’il avait pu, il avait œuvré pour le Christ, même au delà des forces ? Il se disait qu’il laissait après lui le fruit d’un labeur immense, toute une œuvre apologétique et dogmatique qui prémunirait contre l’erreur ce qui resterait de son troupeau et de l’Église d’Afrique. Lui-même avait fondé une église exemplaire, sa chère église d’Hippone, que, de son mieux, il avait façonnée à la règle divine. Et il avait fondé aussi des couvens, une bibliothèque pleine de livres, enrichie encore tout récemment par les libéralités du comte Darius. Il avait instruit des clercs, qui, au