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démoralisés assiégeaient continuellement de leurs plaintes et de leurs lamentations. La situation devenait de plus en plus critique. Le cercle d’investissement se rétrécissait. Cependant, au milieu de ces angoisses, Augustin eut une lueur d’espoir : Boniface se réconcilia avec l’Empire. Dès lors, son armée, se retournant contre les Barbares, pourrait protéger Hippone et peut-être sauver l’Afrique.

Augustin travailla-t-il à cette réconciliation ? Il est hors de doute qu’il la souhaitait ardemment. Dans une lettre au comte Darius, envoyé spécialement de Ravenne pour traiter avec le général rebelle, il félicite chaleureusement ce plénipotentiaire impérial de sa mission pacifique : « Vous êtes envoyé, lui dit-il, pour empêcher l’effusion du sang. Réjouissez-vous donc, illustre et très cher fils en Jésus-Christ, réjouissez-vous de ce bien si grand, si véritable, et jouissez-en dans le Seigneur, qui vous a fait ce que vous êtes et qui vous a confié une tâche si importante et si belle. Que Dieu confirme le bien qu’il nous a fait par vous !... » A quoi Darius répondait : « Puissiez-vous, mon Père, former pendant longtemps encore de tels vœux pour l’Empire, pour la République romaine !... »

Mais la cause de l’Empire était perdue en Afrique. Si la rentrée en grâce du révolté fit naitre quelques illusions chez Augustin, elles ne durèrent pas longtemps. Boniface, après avoir vainement négocié le retrait des troupes vandales, fut battu par Genséric et obligé de se renfermer dans Hippone, avec une armée de Goths mercenaires. Ainsi, c’étaient des Barbares qui allaient défendre contre d’autres Barbares une des dernières citadelles romaines de l’Afrique ! Dès la fin de mai 430, Hippone fut bloquée à la fois du côté de la terre et du côté de la mer.

Augustin se résignait péniblement à cette suprême humiliation et à toutes les horreurs qu’il faudrait subir, si la ville était prise. Chrétiennement, il s’en remettait à la volonté de Dieu, et il répétait à son entourage la parole du Psaume : « Tu es juste, Seigneur, et tes jugemens sont équitables. » Une foule de prêtres fugitifs, et, parmi eux, Possidius, l’évêque de Guelma, s’étaient réfugiés dans la maison épiscopale. Un jour qu’il désespérait, Augustin, étant à table avec eux, leur dit :

« — En présence de ces calamités, je demande à Dieu de délivrer cette ville du siège, ou, si tels ne sont pas ses desseins,