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contre Rome. Se crut-il perdu, comme on l’a répété, ou bien, grâce à ses relations de famille, — n’oublions pas que sa seconde femme était une barbare, — s’était-il depuis longtemps concerté avec Genséric pour le partage de l’Afrique ? On l’en accusa. Toujours est-il qu’en apprenant l’arrivée de Sigisvultus et du nouveau corps expéditionnaire, il appela les Vandales à son secours. Ce fut la grande invasion de 429.

Bientôt les Barbares entrèrent en Numidie. Les régions limitrophes d’Hippone furent menacées. Terrorisés, les habitans fuyaient en masse devant l’ennemi, abandonnant les villes. Ceux qui s’étaient laissé surprendre, se précipitèrent dans les églises, en implorant l’assistance des prêtres et des évêques. Ou bien, résignés à mourir, ils réclamaient le baptême à grands cris, se confessaient, faisaient publiquement pénitence. Le clergé, nous l’avons vu, était particulièrement visé par les Vandales : ils sentaient que les prêtres catholiques étaient l’âme de la résistance. Ceux-ci, dans l’intérêt même de l’Église, devaient-ils se préserver pour des temps plus calmes et se dérober par la fuite à la persécution ? Beaucoup se retranchaient derrière la parole de l’Apôtre : « Si vous êtes persécuté dans une ville, fuyez dans une autre. »

Mais Augustin blâma énergiquement la lâcheté des déserteurs. Dans une lettre adressée à son collègue Honoratus et destinée à être lue par tout le clergé d’Afrique, il déclara que les évêques et les prêtres ne devaient point abandonner leurs églises ni leurs diocèses, mais y rester jusqu’au bout, — jusqu’à la mort et jusqu’au martyre, — pour accomplir les fonctions de leur ministère. Si les fidèles peuvent se retirer en lieu sûr, que leurs pasteurs les accompagnent, sinon qu’ils meurent au milieu d’eux. Ils auront du moins la consolation d’avoir assisté les moribonds à leur dernier moment, et surtout d’avoir empêché les apostasies qui se produisaient couramment sous le coup de la terreur. L’essentiel pour Augustin, qui prévoit l’avenir, c’est que, plus tard, après l’écoulement du flot vandale, le catholicisme puisse refleurir en Afrique. Pour cela, il faut que les catholiques restent dans le pays et que le plus grand nombre possible persévère dans la foi. Autrement, l’œuvre de trois siècles serait à recommencer.

On admire cette fermeté, cette lucidité d’esprit chez un vieillard de soixante-quinze ans, que des troupeaux de fugitifs