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pourtant à lui écrire. Sa lettre est un chef-d’œuvre de tact, de prudence, et aussi de fermeté chrétienne et pastorale.

Il eût été dangereux de déclarer à ce rebelle triomphant : « Tu as tort. Ton devoir est de te réconcilier avec l’Empereur ton maître. » Boniface aurait pu répondre à Augustin : « De quoi te mêles-tu ? La politique n’est point ton affaire. Occupe-toi de ton église ! » — C’est pourquoi Augustin, très habilement, lui parle, d’un bout à l’autre de sa lettre, uniquement en évêque, zélé pour le salut d’un fils très cher en Jésus-Christ. Ainsi, en se renfermant dans ses attributions de directeur spirituel, il atteignait plus sûrement et plus complètement son but, et, comme médecin des âmes, il osait rappeler à Boniface des vérités qu’il n’aurait jamais osé lui exprimer comme conseiller.

Selon Augustin, la disgrâce du comte et les malheurs qui en ont résulté pour l’Afrique viennent surtout de son attachement aux biens temporels. C’est son ambition et sa cupidité, celle de ses partisans, qui ont causé tout le mal. Qu’il se détache des biens périssables, qu’il empêche les vols et les brigandages de ses subordonnés ! Lui qui voulait vivre autrefois dans la continence, qu’il garde au moins la chasteté conjugale ! Enfin, qu’il se souvienne de la foi jurée ! Augustin ne veut pas entrer dans la querelle de Boniface avec Placidie, il ne préjuge pas des torts de l’un ou de l’autre. Il se borne à dire au général en révolte : « Si vous avez reçu tant de biens de l’Empire romain, ne lui rendez pas le mal pour le bien. Si, au contraire, vous en avez reçu du mal, ne lui rendez pas le mal pour le mal… »

Évidemment, l’évêque d’Hippone ne pouvait guère donner d’autres conseils au comte d’Afrique. Le rôle de conseiller politique, en ces conjonctures si embarrassées, était extrêmement délicat. Comment engager un général victorieux à mettre bas les armes devant les vaincus ? Cependant Augustin, jugeant la situation du seul point de vue chrétien, avait trouvé le moyen de dire tout l’essentiel, tout ce qui importait pour le moment.

De quelle façon Boniface prit-il cette lettre, en somme, si courageuse ? Ce qu’il y a de sûr, c’est que ses dispositions n’en furent point modifiées. Il lui était bien difficile de reculer et de se soumettre, d’autant plus qu’un nouveau corps d’armée, sous les ordres de Sigisvultus, ne tarda point à être expédié contre lui. : Une véritable fatalité le contraignait à rester en rébellion