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attitude est, désormais, des plus étranges. Il est à la tête de toutes les forces militaires de la province, et il ne fait rien pour châtier les pillards africains. On dirait qu’il ne songe qu’à s’enrichir, lui et les siens. Le pays est si bien mis en coupe réglée par eux, que, suivant le mot d’Augustin, il ne reste plus rien à prendre.

Cette inertie autorisa des bruits de trahison. Il n’est pas impossible, en effet, que, dès les premières années de son commandement, il ait caressé le projet de se tailler en Afrique une principauté indépendante. Aurait-il, pour cette raison, ménagé les hordes indigènes, afin de s’assurer leur concours, en cas de conflit avec les armées de l’Empire ? Quoi qu’il en soit, sa conduite n’est pas nette. Quelques années plus tard, il descend sur les côtes d’Espagne pour guerroyer contre les Vandales sous les ordres de Castinus, maître des milices, et il y épouse une princesse barbare, arienne de religion. Il est vrai que la nouvelle comtesse d’Afrique se convertit au catholicisme. Mais son premier enfant fut baptisé par des prêtres ariens, lesquels rebaptisèrent, en même temps, des esclaves catholiques appartenant à la maison de Boniface. Ce mariage vandale, ces complaisances pour l’arianisme excitèrent un grand scandale parmi les orthodoxes. Les rumeurs de trahison recommencèrent à circuler.

Sans doute, Boniface se prévalait beaucoup de sa fidélité à l’impératrice Placidie. Mais il était pris entre les Barbares tout-puissans et l’Empire débilité. Il tenait à rester en bonne intelligence avec les deux pouvoirs ennemis, quitte à passer du côté du plus fort, quand le moment serait venu. Cette diplomatie suspecte causa sa ruine. Son rival Aëtius l’accusa de haute trahison auprès de Placidie. La cour de Ravenne le déclara ennemi de l’Empire, et une armée fut envoyée contre lui. Boniface n’hésita pas : il se mit en rébellion ouverte contre Rome.

Augustin fut atterré de cette désertion. Mais comment faire entendre raison à cet homme violent, qui avait au moins pour lui les apparences du bon droit, ayant été calomnié peut-être auprès de l’Impératrice, et qui trouvait tout naturel de se venger de ses ennemis ? Ses succès récens l’avaient encore grisé. Il venait de battre les deux généraux chargés de le réduire, et, ainsi, il était le maitre de la situation, en Afrique. Qu’allait-il faire ? On pouvait redouter les pires résolutions de la part de ce vainqueur ulcéré et avide de vengeance... Augustin se décida