Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/788

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

D’abord, Augustin avait besoin de lui, lorsqu’il arriva à Carthage, en qualité de tribun, pour mettre les donatistes à la raison. D’ordinaire, on voit en beau les gens qui vous rendent des services. Ensuite, le tribun, pour flatter l’évêque et, en même temps, la cour dévote de Ravenne, affichait un grand zèle en faveur du catholicisme. Sa première femme, qui était très pieuse, et qu’il parait avoir beaucoup aimée, l’encourageait sans doute dans ces sentimens. Lorsqu’elle mourut, il eut un tel accès de désespoir que, très sincèrement peut-être, il se jeta dans une dévotion exaltée. Peut-être aussi son crédit baissait-il à Ravenne, où l’on devait connaître ses exactions et soupçonner ses menées ambitieuses. En tout cas, soit qu’il fût réellement dégoûté du monde, ou qu’il jugeât prudent de se faire oublier alors, il parlait déjà de donner sa démission et de vivre dans la retraite comme un moine. C’est en ce moment qu’Augustin et Alypius l’exhortèrent à ne point abandonner l’armée d’Afrique.

Ils rencontrèrent le général en chef à Tubunæ, dans la région de l’Aurès, où sans doute il pourchassait les nomades. Notons encore une fois l’ardeur voyageuse d’Augustin jusqu’à la veille de sa mort. Le trajet était long et dangereux d’Hippone à Tubunæ. Pour que le vieil évêque se soit imposé une pareille fatigue, il fallait qu’il jugeât la situation bien inquiétante. Là, Boniface joua-t-il la comédie, ou, vraiment, était-il si accablé par son deuil, que le monde lui devenait intolérable et que, sérieusement, il songeait à changer de vie ? Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il tint aux deux prélats les propos les plus édifians. Quand ils entendirent le comte d’Afrique parler du cloître avec componction et de son désir d’y entrer, ils trouvèrent une telle piété un peu surprenante chez un militaire. D’ailleurs, ces belles intentions cadraient mal avec leurs plans. Ils lui remontrèrent qu’on pouvait très bien faire son salut dans l’armée, lui citèrent l’exemple de David, le roi guerrier. Enfin ils lui dirent tout ce qu’ils attendaient de son initiative et de sa fermeté. Ils le supplièrent de protéger les églises et les couvens contre les nouvelles attaques des donatistes et surtout contre les Barbares d’Afrique. En ce moment, ceux-ci débordaient toutes les anciennes lignes de défense et ravageaient les territoires d’empire.

Boniface se laissa convaincre sans peine, promit tout ce qu’Augustin et Alypius voulurent. Mais il ne bougea pas. Son