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pour l’Empire et, par conséquent, pour l’Église. Dans son esprit, l’une ne se séparait pas de l’autre. Que faire contre la force brutale ? Toute l’éloquence et toute la charité du monde échoueraient contre cet élément déchaîné qu’était la masse vandale. On ne convertirait pas plus les Barbares qu’on n’avait converti les donatistes. La force devait être l’unique recours contre la force.

Alors, en désespoir de cause, l’homme de Dieu se retourna encore une fois vers César. Le moine fit appel au soldat. Il adjura Boniface, le comte d’Afrique, de sauver Rome et l’Église.

Ce Boniface, assez louche personnage, était un beau type de soudard et de fonctionnaire de Bas-Empire. Thrace d’origine, il unissait la duplicité de l’Oriental à tous les vices du Barbare. Il était robuste, habile aux exercices du corps, comme les soldats de ce temps-là, débordant de vigueur et de santé, et même brave à l’occasion. Avec cela, aimant le vin et la débauche, buvant et mangeant en vrai païen. Il se maria deux fois, et, après son second mariage, il entretint, au vu et au su de tout le monde, un harem de concubines. Envoyé d’abord en Afrique en qualité de tribun, c’est-à-dire de commissaire du gouvernement impérial, probablement pour faire appliquer les décrets d’Honorius contre les donatistes, il reçut bientôt, avec le titre de comte, le commandement des forces militaires de la province.

En réalité, sous prétexte de protéger le pays, il se mit à le piller, comme c’était de tradition chez les fonctionnaires romains. Son officium, encore plus cupide que lui, l’entraînait à des actes que l’évêque d’Hippone, pourtant très soucieux de le ménager, lui reproche à mots couverts. Pour s’assurer de la fidélité de son entourage, il était obligé de lui passer bien des voleries et des brigandages. D’ailleurs lui-même volait. Il devait fermer les yeux pour se faire pardonner ses propres gabegies. Complice de cette bande de pillards, il n’avait plus assez d’autorité pour les retenir.

Comment Augustin a-t-il pu croire au dévouement et à la sincérité de cet aventurier tout plein de gros appétits, au point de placer sur lui ses suprêmes espérances ? Augustin connaissait bien les hommes, il flairait de loin les natures basses ou hypocrites. D’où vient donc que celui-ci l’ait trompé ?