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contre l’Italie les tentatives d’Alaric et de Radagaise, bientôt ils seraient les maîtres de tout l’Occident. Or ces barbares étaient ariens. A supposer, — et cela semblait de plus en plus probable, — que l’Afrique et l’Italie vinssent à succomber après la Gaule et l’Espagne, c’en était fait du catholicisme occidental. Car les envahisseurs traînaient leur religion dans leurs bagages, et ils l’imposaient aux vaincus. Augustin, qui avait conçu l’espoir d’égaler l’empire terrestre du Christ à celui des Césars, allait assister à la ruine de l’un et de l’autre. Son imagination épouvantée lui exagérait encore le péril trop réel et trop menaçant. Il dut vivre des heures d’angoisse, dans l’attente de la catastrophe.

Au moins que la vérité fût sauve, qu’elle surnageât dans ce flot d’erreurs, qui se répandait comme une inondation à la suite du flot barbare ! De là vient sans doute l’obstination infatigable que mit le vieil évêque à combattre, une dernière fois, les hérésies. S’il s’acharna, en particulier, contre Pelage, si, dans sa théorie de la grâce, il poussa ses principes jusqu’à leurs extrêmes conséquences, la hantise du péril barbare y fut probablement pour quelque chose. Cette âme si douce, si mesurée, si délicatement humaine, formula une doctrine impitoyable qui est en contradiction avec son caractère. Mais il estimait sans doute qu’en face des ariens et des pélagiens, ces ennemis du Christ, qui, demain peut-être, seraient les maîtres de l’Empire, on ne pouvait trop affirmer la nécessité de la Rédemption et la divinité du Rédempteur.

Augustin continuait donc à écrire, à discuter et à réfuter. Un moment vint où il dut songer à combattre autrement que par la plume. Sa vie, celle de son troupeau étaient en jeu. Il fallait pourvoir à la défense matérielle de son pays et de sa ville. En effet, quelque temps avant la grande ruée des Vandales, des hordes avant-courrières de Barbares africains avaient commencé à ravager les provinces. Les circoncellions n’étaient pas morts ; leurs bons amis, les donatistes, non plus. Ces sectaires, encouragés par l’anarchie générale, sortaient de leurs retraites et se montraient plus insolens et plus agressifs que jamais. Peut-être espéraient-ils des Vandales ariens, qui approchaient, un appui effectif contre l’Église romaine, ou au moins la reconnaissance de ce qu’ils croyaient être leurs droits. A tout instant, des bandes de Barbares débarquaient d’Espagne. Derrière ces troupes