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jalousement l’emploi de son temps, ils lui demandent compte de ses absences. Quand Augustin va prêcher à Carthage ou à Utique, il s’en excuse auprès de ses paroissiens. Pour entreprendre une étude sur les Écritures, — et une étude dont il est chargé par deux conciles, — il a besoin de leur permission, ou, tout au moins, de leur assentiment.

Enfin, à soixante-douze ans, après trente et un ans d’épiscopat, il obtient d’eux le droit de se reposer un peu. Mais quel repos ! Lui-même le dit : « Ce sera un loisir bien occupé, » qui va remplir ces cinq jours de vacances par semaine. Il se propose d’étudier, de méditer l’Écriture, — et cela encore dans l’intérêt de ses ouailles, de son clergé et de l’Église entière. C’est le rêve le plus cher de toute sa vie, — le projet qu’il n’a jamais pu mettre à exécution. Au premier abord, cela nous étonne. Nous nous disons : « Qu’avait-il donc fait jusque-là, dans ses traités, dans ses lettres, dans ses sermons, à travers tout ce flot de paroles et d’écritures que ses ennemis lui reprochaient, sinon d’étudier et de commenter les Saintes Lettres ? » Mais dans la plupart de ces écrits et de ces homélies, ou bien il n’expose que partiellement la vérité, ou bien il réfute des hérésiarques. Ce qu’il voudrait, ce serait étudier la vérité pour elle-même, sans se soucier ni s’embarrasser des erreurs à confondre, et surtout la pénétrer, autant que possible, dans son étendue et dans toute sa profondeur, en finir avec cette éristique desséchante et irritante, et refléter dans un vaste Miroir la plus pure et totale lumière des dogmes divins.

Il n’en trouva jamais le temps : il dut se borner à un manuel de morale pratique, qu’il publia, sous ce titre, avant de mourir, — et qui est aujourd’hui perdu. Encore une fois, les hérésiarques le détournaient de la vie spéculative. Pendant ses dernières Années, au milieu des plus cruelles alarmes, il eut à combattre les ennemis de la Grâce et les ennemis de la Trinité, Arius et Pelage. Celui-ci avait trouvé dans un jeune évêque italien, Julien d’Éclane, un brillant disciple, qui fut, pour le vieil Augustin, un rude adversaire. Quant à l’arianisme, qu’on avait pu croire éteint en Occident, voici que les invasions barbares lui donnaient un regain de vitalité.

L’instant était grave pour le catholicisme comme pour l’Empire. Les Goths, les Alains et les Vandales, après avoir dévasté la Gaule et l’Espagne, s’apprêtaient à passer en Afrique. S’ils renouvelaient