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de la chair était peut-être la plus forte raison de croire, ces désabusés, qui assistaient avec angoisse à la fin d’un monde, devaient considérer la vie présente comme un mauvais songe, dont il fallait sortir au plus vite.

Au moment même où Augustin commençait à écrire sa Cité de Dieu, son ami Évodius, évêque d’Uzale, lui contait l’histoire que voici.

Il avait pour secrétaire un très jeune homme, le fils d’un prêtre du voisinage. Ce jeune homme était entré d’abord, en qualité de sténographe, dans les bureaux du proconsul d’Afrique. Évodius, redoutant pour lui la contagion d’un pareil milieu, et s’étant assuré d’abord de son absolue chasteté, lui offrit de le prendre à son service. Dans la maison de l’évêque, où il n’était guère occupé qu’à lire les Lettres divines, sa foi s’exalta tellement, qu’il n’aspirait plus qu’à mourir : Quitter cette vie, « être avec le Christ, » c’était son vœu le plus ardent. Ce vœu fut exaucé. Après seize jours de maladie, il mourut chez ses parens.

« Or, deux jours après ses funérailles, une vertueuse femme de Figes, servante de Dieu, veuve depuis douze ans, eut un rêve, dans lequel elle vit un diacre mort depuis quatre ans, qui, avec des serviteurs et des servantes de Dieu, vierges ou veuves, préparait un palais. Cette demeure était tellement ornée qu’elle resplendissait de lumière et qu’on aurait cru qu’elle était toute d’argent. La veuve ayant demandé pour qui on faisait ces préparatifs, le diacre lui répondit que c’était pour un jeune homme mort la veille, et fils d’un prêtre. Dans le même palais, elle vit un vieillard vêtu de blanc, qui ordonnait à deux autres personnes, également vêtues de blanc, d’aller au sépulcre de ce jeune homme, d’en tirer le corps et de le porter au ciel. Lorsque le corps eut été tiré du tombeau et porté au ciel, il s’éleva, dit-elle, du sépulcre une gerbe de roses-vierges, des roses qu’on nomme ainsi parce qu’elles ne s’ouvrent jamais... »

Ainsi, le fils du prêtre avait choisi la meilleure part. A quoi bon rester dans ce monde abominable, où l’on risquait d’être incendié et assassiné par les Goths et les Vandales, alors que, dans l’autre, les anges vous préparaient des palais de lumière ?