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dieux et les hommes, des intermédiaires ou des messagers, qu’ils appellent les démons. Ces êtres hybrides, qui tiennent à l’humanité par leurs passions et à la divinité par le privilège d’être immortels, il faut les apaiser par des sacrifices, les interroger et se les concilier par des conjurations magiques. Et voilà à quoi aboutit le suprême effort de la sagesse païenne : à des évocations d’esprits, aux louches pratiques des devins et des thaumaturges. C’est cela que les païens défendent, dont ils réclament le maintien avec tant d’obstination et de fanatisme.

Non, non, dit Augustin, cela ne mérite point de survivre. Ce n’est pas l’abandon de ces croyances et de ces pratiques superstitieuses qui a causé la décadence de l’Empire. Si vous demandez qu’on rouvre les temples de vos dieux, c’est parce qu’ils sont indulgens à vos passions. Au fond, vous vous moquez d’eux et de l’Empire : ce que vous voulez, c’est la liberté et l’impunité pour vos vices. La voilà, la vraie cause de la décadence ! Peu importent de vaines simagrées devant des autels et des statues. Redevenez chastes, sobres, courageux, pauvres comme vos ancêtres. Ayez des enfans, soumettez-vous au service militaire, et vous vaincrez comme eux ! Or, toutes ces vertus, le christianisme les prescrit et les encourage. Quoi qu’en disent certains hérétiques, la religion du Christ n’est contraire ni au mariage, ni au métier des armes. Les Patriarches de l’ancienne Loi se sont sanctifiés dans le mariage, et il y a des guerres justes et saintes.

Et quand bien même, en dépit de tous les efforts pour le sauver, l’Empire serait condamné, est-ce une raison de désespérer ? On doit prévoir la fin de la cité romaine. Comme toutes les choses de ce monde, elle est sujette à la vieillesse et à la mort. Elle mourra donc, un jour. Loin de nous abattre, fortifions-nous contre cette catastrophe par le sentiment de l’éternel. Affermissons-nous sur ce qui ne passe point. Au-dessus de la cité terrestre, s’élève la cité de Dieu, qui est la communion des âmes saintes, la seule où l’on goûte une joie parfaite et immortelle. Efforçons-nous d’en être les citoyens, de vivre de la seule vie qui mérite ce nom. Celle d’ici-bas n’est que l’ombre d’une ombre...

Les âmes de ce temps-là étaient merveilleusement préparées pour écouter de telles exhortations. A la veille des invasions barbares, ces chrétiens, pour qui le dogme de la Résurrection