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nuées de moucherons. Quoique, dit-il, il ne puisse pas les citer tous, il s’amuse à nous stupéfier par le nombre prodigieux de ceux qu’il découvre. Traînée par lui au grand jour, toute une plèbe divine sort de l’obscurité et de l’oubli, où, peut-être, elle dormait depuis des siècles : les divinités chétives qui travaillent dans les champs, qui font pousser le blé et qui le protègent de la rouille, celles qui surveillent les enfans, qui assistent les femmes en couches, celles qui veillent sur le foyer, celles qui gardent la maison. Chez les païens, on ne peut faire un pas, exécuter un mouvement, sans le secours d’un dieu, ou d’une déesse. Les hommes et les choses sont comme ligotés et emprisonnés par les dieux.

« Dans une maison, dit malignement Augustin, il n’y a qu’un portier. Ce n’est qu’un homme, et il suffit à son emploi. Mais il y faut trois dieux : Forculus pour la porte, Cardea pour les gonds, Limentinus pour le seuil. Sans doute, Forculus tout seul n’aurait pas été capable de s’occuper à la fois du seuil, de la porte et des gonds. » S’agit-il de la consommation de l’hymen, on met en mouvement, pour une opération si simple et si naturelle, toute une escouade de divinités : « De grâce, s’écrie Augustin, laissez quelque chose à faire au mari !... »

Cet Africain, qui avait si profondément le sens de l’unité et de l’infinité insondable de Dieu, s’indigne de cet émiettement sacrilège de la substance divine. Mais les païens, à la suite de Varron, lui répondaient qu’il convient de distinguer, entre tous ces dieux, ceux qui sont de pures imaginations de poètes et ceux qui sont des êtres réels, les dieux de la fable et les dieux de la religion. « Alors, disait déjà Tertullien, si l’on choisit les dieux, comme on démêle les oignons, il est clair que tout ce qui n’est pas choisi est condamné... » — Tertullien a trop d’esprit ! reprend Augustin. Les dieux rejetés comme fabuleux ne sont pas condamnés pour cela. En réalité, ils sont taillés dans la même étoffe que les vrais : « Les pontifes n’ont-ils pas, comme les poètes, un Jupiter barbu et un Mercure imberbe ?... Le vieux Saturne, le jeune Apollon sont-ils tellement la propriété des poètes, qu’on ne voie aussi leurs statues dans les temples ?... »

Les philosophes, à leur tour, ont bien pu protester contre le pullulement des dieux fabuleux et proclamer, comme Platon et Porphyre, qu’il n’existe qu’un seul Dieu, âme de l’univers, ils n’en admettent pas moins des dieux inférieurs et, entre les