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condamné comme un ennemi public. Si quelqu’un entreprend de les réformer ou de les bannir, la multitude aura toute liberté d’étouffer sa voix, de le chasser, de lui ôter la vie même. En revanche, ceux qui ont procuré au peuple ces plaisirs et qui en autorisent la jouissance, voilà les dieux véritables !... »

Cependant, Augustin le reconnaît, nombre de bons esprits, parmi les païens, des philosophes, et, au premier rang, Platon, se sont efforcés de moraliser la religion. Le docteur chrétien rend au platonisme un magnifique hommage. Mais ces hautes doctrines ne sont guère sorties des écoles, ou bien cet enseignement moral, dont se vante le paganisme, n’a guère franchi les limites des sanctuaires. « Qu’on ne vienne pas, dit-il, nous objecter quelques chuchotemens mystérieux enseignés dans le secret et soufflés à l’oreille d’un très petit nombre d’initiés, lesquels renfermaient je ne sais quelles leçons de probité et de vertu. Mais qu’on nous montre, qu’on nous désigne les temples consacrés à ces réunions pieuses, d’où étaient bannis les jeux accompagnés de postures lascives et de chants licencieux... Qu’on nous montre les lieux, où les divinités donnaient des enseignemens aux peuples, pour leur apprendre à réprimer l’avarice, à dompter l’ambition et à refréner la luxure, où enfin les malheureux pouvaient apprendre ce dont le poète Perse recommande si vivement la connaissance :


Apprenez, dit-il, misérables, apprenez la raison des choses.
Ce que nous sommes, quel est le but de la vie,
L’ordre établi... Ce que Dieu
Demande de nous et quelle est notre place dans le monde.


« Qu’on nous dise donc en quel endroit les dieux donnaient habituellement de telles leçons et où se rendaient souvent leurs adorateurs pour les recueillir. Nous autres, nous vous montrons nos églises, bâties uniquement pour cela, partout où la religion du Christ est répandue. »

Quoi d’étonnant que des hommes, si étrangers à la haute moralité et si profondément enfoncés dans la matière, se soient plongés aussi dans les plus grossières superstitions. Le matérialisme des mœurs finit toujours par engendrer une basse crédulité. Ici, Augustin triomphe. Il fait passer sous nos yeux, en un défilé burlesque, l’innombrable armée des dieux auxquels les Romains ont cru. Il y en a tant, qu’il les compare à des