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luxures et d’obscénités, comme ils sont avides du sang et de la graisse des sacrifices.

Il met ainsi le doigt sur la plaie vive du paganisme : son immoralité foncière, ou, si l’on aime mieux, son amoralité. De même que notre scientisme d’aujourd’hui, il est incapable de prescrire une morale. Il ne s’en préoccupe même pas. Ce qu’Augustin a écrit, à ce sujet, dans la Cité de Dieu, est peut-être l’argument le plus fort qu’on ait jamais opposé au polythéisme. En tout cas, des pages comme celle-ci sont extrêmement opportunes à méditer :

«... Quant aux amis et aux adorateurs de ces dieux, dont ils se glorifient d’imiter les vices et les crimes, s’inquiètent-ils de la corruption et de la décadence profonde de la République ? En aucune façon. Qu’elle subsiste, disent-ils, qu’elle prospère par le nombre de ses troupes, qu’elle soit glorieuse par ses victoires ; ou, mieux encore, quelle jouisse de la paix et de la sécurité, cela suffit. Que nous importe le reste ! Ce qu’il nous faut surtout, c’est que chacun puisse toujours augmenter ses richesses, pour subvenir aux prodigalités de chaque jour, et pour donner aux puissans la facilité de dominer le faible. Que les pauvres se courbent devant les riches, pour avoir du pain, ou pour vivre sous leur tutelle, dans une tranquille oisiveté ; que les riches abusent des pauvres comme d’instrumens à leur service, et pour faire parade de leur clientèle. Que le peuple applaudisse non point ceux qui prennent ses intérêts, mais ceux qui lui procurent des plaisirs. Que rien de pénible ne soit commandé, que rien d’impur ne soit défendu... Que les provinces n’obéissent point à leurs gouverneurs, comme aux surveillans de leur moralité, mais comme aux maîtres de leur fortune, et aux pourvoyeurs de leurs plaisirs. Qu’importe que cette soumission manque de sincérité et repose sur une crainte servile et mauvaise ! Que les lois protègent plutôt la vigne que les bonnes mœurs. Que les courtisanes abondent, soit pour quiconque veut en jouir, soit surtout pour ceux qui ne peuvent entretenir des concubines. Que on élève de vastes et splendides palais ; que, nuit et jour, chacun, selon sa fantaisie ou son pouvoir, on joue, on boive, on vomisse, on fasse la débauche Partout, les claquemens rythmés des danses, les cris, la liesse éhontée, le bouillonnement de tous les plaisirs, les plus cruels, ou les plus honteux, dans les théâtres. Celui qui blâmera ces plaisirs sera