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étaient terribles. Qu’on songe aux orgies à huis clos de nos Arabes !

Il n’en est pas moins vrai que les vices païens s’étalaient cyniquement sous le couvert de la religion. Les débauches populaires d’ivrognerie et de gloutonnerie étaient l’accompagnement obligatoire des fêtes et des sacrifices. Une fête religieuse, c’était un festin, une foison de victuailles, les tonneaux de vin débouchés dans la rue. Cela s’appelait les Plats, Fercula, ou bien la Réjouissance, Lætitia. Le pauvre monde qui ne connaissait la viande que de vue en mangeait, ces jours-là, et il buvait du vin. Les effets de cette abondance insolite se faisaient sentir immédiatement. Tout le peuple était ivre. Les riches, dans leurs maisons, y mettaient peut-être plus de cérémonie : au fond, c’était la même brutalité. L’élégant Ovide, qui, dans son Art d’aimer, enseigne les belles manières aux apprentis amoureux, leur recommande de ne pas vomir à table et d’éviter de se griser, comme les maris de leurs maîtresses.

Évidemment, la religion n’était que le prétexte de ces excès. Augustin va trop loin, lorsqu’il rend les dieux responsables de ce déchaînement de sensualité. La vérité, c’est qu’ils ne faisaient rien pour l’entraver. Cependant les obscénités, qu’il rejette si âprement à la face des païens, les spectacles libidineux, les chants, les danses, la prostitution même, tout cela tenait plus ou moins à l’essence du paganisme. Le théâtre, comme les jeux du cirque et de l’arène, était d’institution divine. A de certaines fêtes, et en de certains temples, la fornication devenait sacrée. Ce qui se passait à Carthage, dans les cours et sous les portiques de la Vierge Céleste, ce que les oreilles des matrones les plus chastes étaient obligées d’y entendre ; à quoi servaient enfin les prêtres émasculés de la Grande Mère des Dieux, nul ne l’ignorait. Augustin, qui dénonce ces turpitudes, n’a point forcé la note de son réquisitoire pour les besoins de la cause. Si l’on veut savoir, avec plus de détails, de quels spectacles on se régalait au théâtre, ou quelles étaient les mœurs de certaines confréries pieuses, il n’est que de lire ce qu’en raconte Apulée, le plus dévot des païens. Il se délecte visiblement à ces récits, ou si, parfois, il s’indigne, il n’accuse que la dépravation des hommes : les dieux planent très haut au-dessus de toutes ces misères. Pour Augustin, au contraire, les dieux sont d’abominables démons, qui se repaissent de