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inspection des entrailles, ces pratiques étaient fort à la mode dans toutes les classes de la société. Les païens, en général, s’occupaient plus ou moins de magie. On n’était guère philosophe sans être thaumaturge. Il y avait là comme une concurrence déloyale aux miracles chrétiens. Les ambitieux ou les mécontens ouvraient le ventre des animaux, pour savoir quand l’empereur mourrait et qui serait son successeur. Mais, sans aller jusqu’à la magie, l’haruspicine faisait partie intégrante des sacrifices. Sitôt le dépeçage achevé, les devins commençaient la consultation des entrailles. Les consultans les tournaient et les retournaient avec une anxieuse attention. L’opération pouvait durer longtemps. Plutarque raconte que Philippe, roi de Macédoine, sacrifiant un bœuf, sur l’Ithôme, avec Aratus de Sicyone et Démétrius de Pharos, voulut interroger les entrailles de la victime touchant l’opportunité d’une mesure stratégique. L’haruspice lui remit le paquet fumant entre les mains. Le Roi le plaça sous les yeux de ses compagnons, qui en tirèrent des pronostics contradictoires. Il écouta le pour et le contre, tenant toujours les entrailles du bœuf entre ses mains. Enfin, il se rangea à l’avis d’Aratus, puis, tranquillement, il repassa le paquet au sacrificateur...

Sans doute, ces rites ne se pratiquaient plus ouvertement du temps d’Augustin. Néanmoins, ils avaient une importance capitale dans l’ancienne religion, laquelle ne demandait qu’à les restaurer. On comprend la répulsion qu’ils inspiraient à l’auteur de la Cité de Dieu. Lui qui n’aurait pas voulu tuer une mouche, pour s’assurer la couronne d’or au concours de poésie, il regardait avec horreur ces bouchers, ces charcutiers et ces cuisiniers sacrés. Il rejetait à l’égout la tripaille des sacrifices, et il montrait fièrement aux païens la pure oblation du Pain et du Vin eucharistiques.

Mais ce qu’il a surtout attaqué, parce que le scandale en était présent et permanent, c’est la goinfrerie, l’ivrognerie et la lubricité des païens. Ne nous exagérons pas trop ces vices, — du moins les deux premiers. Augustin ne pouvait pas en juger comme nous. Il est certain qu’à nous modernes, les Africains de son temps, — comme d’ailleurs ceux d’aujourd’hui, — eussent paru des gens sobres. Les accès d’intempérance, dont il les accuse, ne se produisaient que par intervalles, à l’occasion d’une fête publique, ou d’une solennité familiale. Mais alors ils