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quelles cérémonies et quels sacrifices il faut faire en leur honneur. » — Enfin, la troisième, la théologie physique, ou métaphysique, est réservée aux philosophes et aux esprits d’élite : elle est purement spéculative. La seule importante, vraiment religieuse, qui comporte, pour le croyant, l’obligation, c’est la seconde, la théologie civile.

Or nous ne voulons pas en tenir compte. Ce que nous nous obstinons à considérer comme le paganisme, c’est ce que Varron lui-même appelait une « religion de théâtre : » matière d’opéra, prétexte à ballets, à décors et à figurations. Transposée par nos poètes, cette mythologie se gonfle, à l’occasion, d’un mysticisme ou d’un symbolisme vagues. Amusettes de beaux-esprits ! Le paganisme vivant, contre lequel Augustin a lutté, que les foules ont défendu au prix de leur sang, auquel les humbles ont cru et que les plus grands politiques jugeaient indispensable à la sauvegarde des cités, — ce paganisme-là est autre chose. Comme toutes les religions possibles, il impliquait et il imposait non seulement des croyances, mais des rites, des sacrifices et des fêtes. Et c’est cela qu’Augustin, comme les chrétiens d’alors, repoussait avec dégoût et déclarait intolérable.

Il voyait, ou il avait vu de ses yeux les réalités du culte païen, — et la plus répugnante de toutes pour nos sensibilités modernes, celle des sacrifices. A l’époque où il écrivait la Cité de Dieu, les sacrifices privés, comme les sacrifices publics, étaient interdits. Cela n’empêchait point les dévots d’enfreindre la loi, chaque fois qu’ils le pouvaient. Il se cachaient plus ou moins, quand ils sacrifiaient devant un temple, une chapelle, ou dans une propriété particulière. Les rites ne pouvaient pas s’accomplir selon toutes les prescriptions minutieuses des Livres pontificaux. Ce n’était plus qu’une ombre des cérémonies d’autrefois. Mais, dans son enfance, par exemple, sous le règne de Julien, Augustin avait pu assister à des sacrifices célébrés avec toute la pompe et selon toutes les exigences rituelles. C’étaient de véritables scènes de boucherie. Oublions, de grâce, la frise du Parthénon et ses sacrificateurs aux belles lignes. Si nous voulons avoir la traduction littérale de cette plastique et retrouver l’image moderne d’une hécatombe, il faut aller aux Abattoirs de la Villette.

Parmi ces amoncellemens de viandes dépecées, ces flaques de sang répandu, le mystique Julien se laissait emporter par