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Nous n’avons pas à entrer dans le détail de cette œuvre immense, nous qui nous attachons uniquement à étudier l’âme d’Augustin et qui ne retenons guère de ses livres que les parties où palpite un peu de cette âme ardente, celles qui sont toujours vivantes pour nous autres hommes du XXe siècle, qui contiennent des enseignemens ou des façons de sentir toujours capables de nous toucher. Or l’attitude d’Augustin en face du paganisme est une des plus révélatrices de sa nature et de son caractère. Et elle peut être encore la nôtre en face d’une conception du monde et de la vie, qu’on peut bien ruiner pour un temps, mais qui renaît, aussitôt que le sens de la spiritualité s’oblitère ou s’affaiblit :


Paganisme immortel, es-tu mort ? On le dit.
Mais Pan, tout bas, s’en moque, et la Chimère en rit.


Comme nous, Augustin, élevé par une mère chrétienne, ne le connaissait que littérairement, et, si l’on peut dire, esthétiquement. Des souvenirs d’école, des émotions et des admirations de lettré, voilà ce que la vieille religion représentait pour lui. Néanmoins, il avait sur nous, pour le bien connaître, un grand avantage : le spectacle des superstitions et des mœurs païennes était encore sous ses yeux.

Que les aventures voluptueuses, romanesques ou poétiques des anciens dieux, que leurs statues, leurs temples, tous les arts issus de leur religion, l’aient séduit et enthousiasmé avant sa conversion, cela est trop certain. Mais cette mythologie et cette plastique étaient choses secondaires alors, même aux yeux d’un païen. Le sérieux, l’essentiel de la religion n’était pas là. Le paganisme, religion de la Beauté, est une invention de nos modernes esthètes : on n’y songeait guère du temps d’Augustin.

Bien avant lui, le Romain Varron, le grand compilateur des antiquités religieuses du paganisme, distinguait trois espèces de théologies : celle du théâtre, comme il l’appelle, ou mythologie fabuleuse, à l’usage des poètes, des dramaturges, des sculpteurs et des baladins. Inventée par eux, elle n’est qu’une fantaisie, un jeu de l’imagination, un ornement de la vie. La seconde est la théologie civile, — sérieuse, solide celle-là, et qui réclame le respect et la piété de tous : « C’est celle que les citoyens dans les villes et surtout les prêtres doivent connaître et pratiquer. Elle apprend quels dieux il faut honorer publiquement,